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Troisième édition, même alerte. Publié ce 20 novembre 2025, le baromètre santé-social AMF–Mutualité Française confirme que la France reste confrontée à une crise structurelle d’accès aux soins, malgré une légère remontée du nombre de médecins généralistes.
Une démographie médicale qui se redresse trop peu
Au 1er janvier 2025, le pays compte 100 019 généralistes en activité, soit environ 520 médecins de plus qu’en 2023, après douze années de recul continu de leur effectif. Cette hausse de 1 % ne permet toutefois pas de retrouver le niveau de 2020, avec encore 1,3 % de généralistes en moins qu’il y a cinq ans. Rapportée à la population, la densité moyenne s’établit à 146 médecins pour 100 000 habitants, stable par rapport à 2023 mais en baisse par rapport aux 150 pour 100 000 habitants enregistrés en 2020.
Derrière cette moyenne, les écarts territoriaux restent considérables. Les Hautes-Alpes affichent 288 généralistes pour 100 000 habitants, quand Mayotte n’en compte que 39, un chiffre en recul par rapport à 2023.
Plusieurs départements métropolitains, comme la Seine-Saint-Denis ou l’Essonne, sont passés sous la barre des 100 médecins pour 100 000 habitants.
Renoncement aux soins et désertification : un tableau qui s’assombrit
Pour Éric Chenut, président de la Mutualité Française, le diagnostic est clair : « La situation malheureusement ne s’améliore pas, au contraire, elle continue de se dégrader. » Il rappelle que les sujets de santé restent la première préoccupation des Français et que ce baromètre vise à objectiver les inégalités territoriales et sociales de santé.
L’autre indicateur clé du baromètre, le renoncement aux soins, confirme cette tension. En 2025, 65 % des Français déclarent avoir dû différer ou renoncer à des soins au cours des douze derniers mois, soit 3 points de plus qu’en 2024.
Les causes mêlent difficultés financières, délais d’attente et raréfaction de l’offre de proximité.
S’y ajoute la question du médecin traitant. Selon les données les plus récentes reprises dans le baromètre, 87 % de la population vit dans des territoires qualifiés de « déserts médicaux », tandis que 6 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant, dont environ 400 000 patients en affection de longue durée.
Pour Éric Chenut, « cela montre à quel point le seul passage par le médecin traitant ne suffit plus » et plaide pour des équipes de soins structurées autour du généraliste, incluant, pharmaciens, sages-femmes, infirmiers, et autres paramédicaux.
Les zones rouges en première ligne
Le baromètre met aussi en lumière les « zones rouges » définies par le Pacte de lutte contre les déserts médicaux : 151 établissements publics de coopération intercommunale, représentant plus de 2,5 millions d’habitants, fortement vulnérables en matière d’accès aux soins.
Ces territoires, le plus souvent ruraux, concentrent une faible densité médicale et un fort isolement.
C’est précisément dans ces zones que se déploient depuis septembre 2025 les cabinets et consultations solidaires. Claire Peigné, co-présidente de la commission Santé de l’AMF, rappelle que ce dispositif vise à apporter une réponse rapide dans les territoires les plus en tension, grâce à l’engagement de médecins en exercice ou retraités. « Le dispositif est encore jeune, mais déjà plus de 200 médecins sont inscrits et ont réalisé autour de 1 000 consultations », souligne-t-elle, en appelant à une évaluation dans le prochain baromètre.
D’autres initiatives mutualistes sont implantées dans ces mêmes espaces fragiles, comme le centre de santé de Moulins géré par la MGEN, intégré dans une coopération ville-hôpital pour améliorer l’accès aux soins, ou encore le déploiement de bus dentaires itinérants, à l’image du Buccobus qui sillonne la Haute-Saône.
Permanence des soins : une stabilisation qui masque une fragilité profonde
La permanence des soins reste un autre point de fragilité. Après avoir été divisée par deux entre 2012 (73 % des généralistes volontaires) et 2022 (38 %), la part des médecins participant à la permanence des soins ambulatoires se stabilise à 39 % en 2024.
Le taux varie fortement selon les départements, de 9 % à Paris à 84 % dans les Vosges.
Le Service d’accès aux soins (SAS), censé répondre en 48 heures aux demandes de soins non programmés, est désormais déployé dans 92 SAS couvrant 93 départements.
Mais son bilan apparaît contrasté : seuls 21 % des conseils départementaux de l’Ordre jugent le dispositif pleinement satisfaisant, et 29 % considèrent qu’il ne fonctionne pas correctement.
L’activité reste modérée, avec 85 280 rendez-vous pris via la plateforme à l’échelle nationale, dans un contexte de difficulté de recrutement des médecins régulateurs et de manque de créneaux dédiés.
Formation et installation, les attentes autour des docteurs juniors en médecine générale
Pour les élus locaux, ces dispositifs ne produiront leurs effets que s’ils s’inscrivent dans une stratégie plus large de réorganisation de l’offre et de formation. Claire Peigné insiste notamment sur la réforme de la quatrième année de médecine générale, dont la mise en œuvre est annoncée pour novembre 2026, avec l’arrivée de docteurs juniors en stage dans les territoires. Elle souligne la nécessité d’une cartographie nationale, d’un travail en lien avec les CPTS et d’un accompagnement des maîtres de stage pour que ces jeunes médecins restent ensuite dans les zones où ils ont été formés.
Coopérations territoriales : des solutions locales, mais un besoin de changement d’échelle
Au-delà des chiffres, Éric Chenut revient sur l’enjeu de coordination entre État, collectivités, professionnels de santé et acteurs de la protection sociale. « On ne transformera pas le système de santé les uns contre les autres », rappelle-t-il, appelant à une véritable stratégie nationale de santé, notamment en matière de prévention, encore attendue par les acteurs de terrain.
Les exemples de coopération mairies/intercommunalités-mutuelles mis en avant par le baromètre – centres de santé mutualistes, bus dentaires itinérants, coopérations ville-hôpital citées plus haut – montrent que des solutions locales existent déjà.
D’autres actions méritent d’être citées en santé environnementale d’abord, comme le collectif « Ordonnance verte » dans les Hauts-de-France qui agit sur l’alimentation, les perturbateurs endocriniens ou le programme « Chez moi, je dis stop aux polluants » en Bretagne pour réduire la présence de polluants dans les logements via des ateliers pratiques.
La Mutualité Française en lien avec les mairies-intercommunalités réalise des formations aux premiers secours en santé mentale auprès des agents municipaux et des professionnels de terrain ou encore des ateliers bien-vieillir sur la nutrition ou l’activité physique des seniors, des initiatives de prévention au plus près des populations à risque.
Mais pour le président de la Mutualité Française, « malgré toutes ces initiatives utiles, si on ne change pas d’échelle, on n’y arrivera pas ».
En filigrane de ce troisième baromètre, le message adressé aux pouvoirs publics comme aux professionnels de santé est donc double : les expérimentations locales fonctionnent, mais la démographie médicale et le renoncement aux soins imposent désormais des réponses structurantes, durables et co-construites avec les territoires, c’est d’ailleurs tout l’enjeu des Etats généraux de la Santé et de la Protection Sociale, lancés par la Mutualité Française et ses partenaires le 17 novembre 2025.
Découvrez l’intégralité du baromètre 2025