Une bouteille à la mer : comment sauver sa peau à bord du Titanic médicosocial

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Si vous lisez ces lignes et que cela ressemble à la définition de votre journée de travail standard, c’est qu’il est temps de sauter sur le premier canot de sauvetage venu.

Une bouteille à la mer : comment sauver sa peau à bord du Titanic médicosocial

Risques psychosociaux, quesako ?

 

Passer une nuit de garde au SAU où il est plus dur de trouver un lit pour une mamie en syndrome de glissement que le Prince Harry sur Tinder, devoir se mettre en mode Shiva (divinité hindoue aux 8 bras, ou l’entreprise d’aide-ménagère, au choix) pour faire fonction de secrétaire médicale/IDE/AS/kiné en arrêt maladie, ou encore se décarcasser dans des prises en charge considérées comme « non valorisantes pour l’hôpital » par un administratif dont la dernière expérience clinique est la saison 1 de Grey’s anatomy… Pas besoin d’appeler son confrère psychiatre préféré pour se douter que toutes ces expériences du quotidien du médecin ne sont pas l’idéal pour avoir un moral au firmament. Ces dysfonctionnements institutionnels ont pourtant un nom, et des conséquences bien. précises : il s’agit des risques psychosociaux (RPS). Ils se définissent comme des « risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». Si vous lisez ces lignes et que cela ressemble à la définition de votre journée de travail standard, c’est qu’il est temps de sauter sur le premier canot de sauvetage venu.

 

Don't you know that you're toxic ?

 

Pour Jean-Claude Delgènes, expert ès RPS et directeur du cabinet Technologia*, spécialisé dans les risques liés au travail, le constat est plutôt sombre : « L’augmentation de la densité du travail, le manque d’effectif, le regroupement en GHT (groupements hospitaliers de territoire) induisent des tensions de plus en plus fortes et délétères ». S’il met l’accent sur la souffrance des soignants, il évoque également nos administratifs qui ne se la couleraient pas si douce. « Ils sont dans une contrainte effroyable de restriction imposée par le haut mais de devoir aussi conduire la restructuration de mastodontes, le tout avec un pouvoir d’agir très faible ».

 

Parmi les confrères les plus exposés, Jean-Claude Delgènes évoque la situation des urgentistes, en rapport avec la charge de travail intense et l’omniprésence de la mort, mais aussi les chirurgiens, notamment lorsqu’une incapacité physique amène à la question du reclassement professionnel, encore tabou dans notre profession. Ce qui tend à isoler.

 

Together again

 

Que faire en cas de problème ? Jean-Claude Delgènes et Philippe Nuss, psychiatre (voir l’encadré ci-dessous) abondent dans le même sens : « l’ensemble », c’est tout ! « L’entraide, la solidarité, la (bonne) ambiance de travail sont les meilleurs moyens de prévenir les RPS. » « Et dans le contexte financier actuel, cela a aussi l’immense avantage d’être gratuit », ose même Jean-Claude Delgènes. Il plaide également pour la mise en place de systèmes de monitorage des RPS sur le long terme, pas uniquement en cas de crise, avec l’utilisation de l’outil numérique. Et il va falloir se serrer les coudes, car le pronostic de « Monsieur RPS » n’est pas très engageant : « la césure entre décideurs et soignants sur le terrain n’est pas près de se résorber… Notre société voit dans la santé une source de coût et non un investissement, sans qu’un réel débat politique et démocratique se mette en place ». De quoi donner envie de reprendre : « Tous ensemble, Tous ensemble, Ouais, Ouais » avec la chorale de la salle de garde…

 

*www.technologia.fr

 

 

 

 

 

Les conseils du Dr Nuss

 

Philippe Nuss est psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, où il reçoit régulièrement des confrères en difficulté adressés par le Conseil de l’Ordre. Il a également publié une étude sur le burn-out des psychiatres. Voici ses 3 conseils anti-RPS :

 

Se rebeller

 

L’enseignement en médecine est traumatique : la sélection se fait par l’échec, ce qui tout au long de la formation renvoie à une insuffisance face à un idéal de médecine toute-puissante, inatteignable. C’est pour cela qu’on supporte des situations intenables aussi longtemps, qu’on considère nos plaintes illégitimes, face à une administration qui peut en profiter. C’est une logique post-traumatique.

 

Se retrouver

 

Que ce soit en salle de garde ou dans de nouveaux endroits, à définir, c’est en partageant des temps ensemble qu’on apprend, qu’on dédiabolise l’autre. Sans ça, on peut avoir l’impression que l’herbe est plus verte ailleurs, qu’il n’y a que dans son service qu’on est en souffrance. Le plus dangereux pour un soignant en détresse, c’est l’isolement.

 

Accepter sa complexité

 

Le monde médical peut être très normatif, et dans des situations complexes on peut avoir tendance à se rigidifier du type « un bon médecin ça doit lire le Lancet, ça ne doit pas se plaindre, ça doit travailler beaucoup… ». Or malgré ce qu’on nous apprend, il y a d’autres choses, non moins importantes que la médecine, et qui font le sel de la vie. Que ce soit la lecture, le ballet ou la cuisine thaï, il est important de les cultiver !

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