Simulation médicale : le train est en marche

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Entretien avec le Pr Tesnière, spécialiste de la simu en santé

Simulation médicale : le train est en marche

À l’occasion du congrès Doctors 2.0 and you, rendez-vous de startuppers et spécialistes du monde entier réunis à Paris pour discuter de santé digitale, nous avons rencontré le Pr Antoine Tesnière, directeur général d’iLumens, le centre de simulation de Paris Descartes. L’occasion de faire le point sur la simu en santé en France, avec un de ses porte-voix les plus engagés.


What’s up Doc. Pourquoi la simu met-elle plus de temps à s’implanter en médecine que dans le nucléaire ou l’aéronautique ?

Antoine Tesnière. Il y a plusieurs raisons. Pendant longtemps, le médecin avait le monopole de la connaissance médicale et le patient ne savait rien. Il y avait cette idée que le médecin faisait tout au mieux. La réalité, ce n’est pas ça : on sait qu’être pris en charge dans un système de soins expose à des risques. Par ailleurs, on n’avait pas de données claires sur l’accidentologie liée aux soins avant les années 2000, et une étude américaine fondatrice. Enfin, un accident aérien, ça veut dire 200-300 morts, des images de l’avion calciné ou des débris partout dans les médias. En santé, les morts sont perlées : on a un ou deux morts par jour, mais toute l’année. Évidemment c’est beaucoup moins visible. 

WUD. Les avantages de la simulation en santé sont-ils démontrés ?

AT. Pas encore à l’échelle des pays, mais à un niveau plus local, absolument. On sait que la simulation améliore de façon claire l’apprentissage, la qualité des soins, le devenir des patients et les coûts associés. La pose des cathéters centraux en réanimation est un bon exemple. On a montré aux US que les patients avaient moins de complications, d’où des économies de l’ordre de 800 000 dollars pour un service d’une dizaine de lits de réanimation. Aux États-Unis, les centres de simulation sont souvent financés par les systèmes d’assurance. Ce n’est pas par philanthropie… 

WUD. Marisol Touraine souhaite que chaque CHU ait son centre de simu d’ici 2017. On y est ?

AT. Tout dépend de ce qu’on appelle centre de simulation. Il y a des centres très évolués, multidisciplinaires, intégrés, et des initiatives un peu plus sommaires. Mais on y sera probablement. La France prend le train un peu en retard mais le prend assez vite. Depuis deux-trois ans il y a de l’émulation autour de la simulation, et chaque centre produit ses initiatives. Mais maintenant il faut que chacun fonctionne en réseau et partage un maximum d’outils, parce que les investissements sont coûteux.

WUD. L’argent est le frein principal ?

AT. C’est une des grandes problématiques. La simulation coûte cher : un mannequin haute-fidélité coûte entre 50 000 et 200 000 euros mais surtout, c’est une pédagogie très accompagnée, donc coûteuse en ressources humaines. Ce coût d’investissement doit être rapporté aux économies sur la qualité et la sécurité des soins, mais ce lien n’est pas toujours évident à faire pour les décideurs. 

WUD. La réforme du 3e cycle en cours donne-t-elle une place importante à la simu ?

AT. La Conférence des doyens s’est prononcée très en faveur de la simulation, et ça se développe de plus en plus. Mais le financement est difficile. Après les études, la simulation est financée dans le cadre de la formation continue, tandis que les facs de médecine investissent beaucoup dans la formation initiale. Mais le 3e cycle est dans un entre-deux, il n’y a pas beaucoup d’argent dans les DES. Or, c’est le moment de la formation où l’impact de la simulation est sans doute le plus important. 

WUD. Est-ce que la simu va raccourcir la durée des études ?

AT. Il y a dix ans, on pouvait travailler 24 ou 48 heures de suite à l’hôpital. Ce n’était pas bien, mais on était exposé à de nombreuses situations et de nombreux patients. Par ailleurs, avec le développement de l’ambulatoire, la durée moyenne de séjour diminue. Enfin, pour des raisons sociétales, les patients acceptent moins d’être « cobayes ». Tous ces éléments font que les étudiants en médecine sont moins exposés à des situations cliniques. Grâce à la simulation, on peut mettre en place des situations qu’un étudiant mettrait peut-être 5 ou 6 ans à voir à l’hôpital. La simulation répond au problème de la dilution de l’expérience clinique. A terme, elle permettra peut-être de raccourcir les études.

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Propos recueillis par Yvan Pandelé

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