Sciences sans complexe : Le côté obscur des publications scientifiques

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Article scientifique ne rime pas toujours avec intégrité. Un constat effectué par Elisabeth Bik, chasseuse de fraudes scientifiques, qui au travers de son expérience, a présenté un panel des mauvaises pratiques lors d'une conférence.

Sciences sans complexe : Le côté obscur des publications scientifiques

Quand Elisabeth Bik ne se fait pas poursuivre par Didier Raoult, elle enquête. Son quotidien ? S’assurer de l’intégrité des articles scientifiques. Un rôle d’investigation précieux qu’elle a obtenu après avoir fait ses preuves sur le terrain en travaillant sur les microbiomes des humains et des mammifères marins dans le laboratoire de David Reliant à l’École de médecine de Stanford. « Pourquoi je tiens à l’intégrité scientifique ? Chaque article est écrit à partir d’un autre, chaque papier est écrit à partir du travail d’autres scientifiques », explique celle qui a présenté une conférence baptisée « The dark side of science: Misconduct in biomedical research » le 25 mai dernier.

En tout, Elisabeth Bik a analysé plus de 20 000 papiers. Un joli pactole qui lui permet d’estimer à la louche que 5 à 10 % des articles scientifiques seraient le résultat de mauvaises pratiques. Plagiat d’un confrère, falsification des résultats, fabrications des données… Il y a en a pour tous les goûts. « Les mauvaises conduites de la science arrivent dans tous les champs scientifique et dans tous les pays », assure-t-elle.

La manipulation des photos

C’est sur la détection des photos dupliquées dans les articles biomédicaux que la scientifique s’est spécialisée. « La plupart des articles scientifiques n’en contient pas, confie-t-elle. Mais lorsqu’il y en a des photos de tissus, de sang, elles doivent être uniques ». L’oeil désormais rompu à l’exercice, celle qui a détecté 4 % de duplicatas dans les 20 000 publications analysées révèlent les ficelles de son métier. « Avec un peu d’entraînement, tout le monde peut voir les duplicatas comme je le fais », confie-t-elle. Et d’énumérer, photos à l’appui, les trois types de fraudes auxquelles elle a été confrontées. « La première est quand deux photos sont identiques. C’est ce que j’appelle une simple duplication », confie-t-elle avant d’enchaîner sur la seconde pratique observée. « Il s’agit de la redisposition. C’est à dire qu’un spécimen a été déplacé sous le microscope ». La troisième, quant à elle, nécessite quelques compétences informatiques. « Il s’agit d’une altération. C’est simplement du photoshop », explique celle qui confie être « fascinée » par le nombre de photos modifiées qu’elle pourrait trouver. « Je travaille désormais avec un software pour nous aider à mieux les détecter », révèle Elisabeth Bik.

L’omission de data

Autre piste d’investigation selon la spécialiste, l’omission de data. Exemple d’une étude censée attester que le vaccin HPV nuit à la fertilité des femmes américaines entre 25 et 29 ans, preuves à l’appui, elle poursuit : « Le problème ici, c’est l’âge du groupe. Aux États-Unis, les femmes diplômées ont leur premier enfant vers trente ans ou plus. Elles n’ont donc pas été incluses à l’étude. Cela, alors qu’elles ont plus de chances d’avoir été vaccinées. En effet, elles ont eu accès à une meilleure éducation, sont mieux renseignées sur le vaccin et ses avantages ». Une faille de la recherche qui rend caduque le résultat. « C’est de la falsification car l’étude a laissé de côté de nombreux points de données ». Même jugement sévère pour d’autres études qui n’en présentent même pas. « J’ai réussi à faire rétracter une étude dans ce cas de figure, révèle-t-elle. Mais elle a été publié dans un premier temps, ce qui est simplement effrayant. Ce n’est pas scientifique du tout ».

La fraude à la relecture des pairs et à l’affiliation

« D’autres problèmes que nous rencontrons est la fausse affiliation et la fausse relecture des pairs », commence Elisabeth Bik. Au programme notamment ? Un chercheur qui a créé de fausses adresses e-mail pour valider son travail ou encore un autre qui revendique travailler dans une institution qui n’existe pas. « Leur travail est publié dans ce que j’appelle des journaux prédateurs », explique-t-elle. MedCrave, OMICS Group, Juniper Publishers… Un ensemble de revues qui ne « semblent n’être intéressées que par l’argent ». « Leur processus de lecture des pairs est souvent inexistant », confie-t-elle, avant d’ajouter que de nombreux jeunes chercheurs inexpérimentés se font avoir avant de se rendre compte que leur papier ne sera jamais indexé.

Les « paper mills », ou l’usine à articles

« Les paper mills sont un problème relativement nouveau », confie Elisabeth Bik. Le concept ? Vendre des papiers clefs en main pour quelques milliers de dollars. « C’est écrit par des ghostwriters qui sont très bons en anglais. Ils travaillent à partir d’un template, dont ils changent quelques mots, quelques figures », détaille Elisabeth Bik, qui déclare que 600 papiers de ce type ont été dégottés. Un service d’un nouveau genre qui s’adresserait à un public très particulier. « En Chine par exemple, les jeunes médecins qui souhaitent avoir une bonne position ou une promotion à l’hôpital doivent avoir écrit un article scientifique », relate la spécialiste. Une exigence qui se conjugue mal avec le temps de travail hebdomadaire de ces professionnels de santé. « Comment publier dans ce cas-là ? Ils vont donc acheter ces papiers. Ça coûte environ 8 000 à 10 000 dollars », explique Elisabeth Bik.

Si un large panel de mauvaises pratiques se dissimule dans la publication scientifique, Elisabeth Bik rappelle qu’il est important de ne pas jeter la pierre mais plutôt de s’interroger sur « notre manière de publier ». « Nous nous concentrons trop sur ce qui est publié pour mesurer notre productivité », confie-t-elle. Une tendance qu’elle invite à changer.

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