Santé Publique France : Une dépendance qui lui joue des tours

Article Article

Santé Publique France, cible de pression de la part du directeur général de la Santé ? C’est en tout cas ce qu’assure la Commission d’enquête sénatoriale qui affirme que Jérôme Salomon aurait fait pression sur l'Institution pour dissimuler la pénurie de masques. Un événement troublant qui fragilise la crédibilité scientifique de l’organisation.
 

Santé Publique France : Une dépendance qui lui joue des tours

Santé Publique France n’est pas un organe indépendant. Et c’est une actualité dérangeante qui vient nous le rappeler. D’après le rapport de la commission d’enquête du Sénat paru ce jeudi 10 décembre, le directeur général de la Santé Jérôme Salomon aurait fait pression sur l’organisation pour dissimuler le manque de masques.

Petit rappel des événements. Nous sommes en août 2018. Un avis, rédigé par l’infectiologue grenoblois Jean-Paul Stahl, est remis à Santé Publique France. Pour faire face au risque de pandémie grippale, le professeur égrène plusieurs recommandations – dont la constitution d’un stock d’un milliard de masques. Un ensemble de conseils qui survient alors que les stocks de l’État sont déjà au plus bas. Selon une analyse remise à l’ancien directeur de SPF François Bourdillon, 80 % des 735 millions de masques présents dans les stocks d’État ne seraient déjà plus conformes à cette période. « Il est important qu’une doctrine soit rapidement établie par vos services pour que les éventuelles acquisitions de produits de santé soient mises en œuvre, afin de disposer d’un stock avant le deuxième trimestre 2019 », écrit alors l’ex-directeur de SPF à Jérôme Salomon. Problème : à ce moment-là, le ministère de la Santé cherche à faire des économies. En conséquence, Jérôme Salomon donne son accord pour acheter 50 millions d’unité. Et « 50 millions supplémentaires si le budget le permettait, soit moins que la quantité nécessaire ne serait-ce que pour renouveler ceux arrivant à péremption fin 2019 », précisent les sénateurs dans leur rapport.
 
Un décalage certain avec les recommandations émises par l’avis du professeur Stahl qui dérange la Direction Générale de Santé. En conséquence, Jérôme Salomon aurait alors tenté de faire modifier les préconisations présentes dans l’avis afin de les faire concorder avec sa décision. Une manœuvre mise à jour par la Commission d’enquête grâce à un échange de mails entre le directeur de la santé et celui de Santé Publique France. « La position du groupe d’experts de SPF est délicate et risquée, écrit Jérôme Salomon. En effet, comment concevoir, sauf à vous décharger sur la DGS puisque vous agissez au nom de l’Etat pour la question des stocks, qu’un groupe d’experts de SPF […] laisse penser que le stock de masques doit être autour d’un milliard et que l’établissement pharmaceutique de SPF n’ait pas constitué des stocks à hauteur de ce qui est recommandé ? ». Une réflexion suivie d’une recommandation : « L’une des solutions pourrait alors être de modifier la rédaction de certaines formulations afin de centrer l’avis sur les besoins en contre-mesures médicales ».


 
Une proposition accueillie fraichement par François Bourdillon qui met d’abord en avant « l’indépendance scientifique de l’agence » garantie par « une charte de l’expertise ». « Ces modifications doivent obtenir l’aval des experts avant publication et [il faudra] leur donner une explication, ce qui ne va pas être simple tant l’indépendance de l’expertise est un sujet sensible », écrit-il avant de finalement obtempérer. « Voilà donc en retour l’avis dans lequel j’ai retiré toute allusion à un stock chiffré, notamment pour les masques », poursuit l’ancien directeur. Dans la version du rapport Stahl rendue publique en 2019, la notion de « stock » d’un milliard de masques disparaît pour laisser place à la simple mention d’un « besoin ». « L’analyse de courriels échangés entre la direction générale de la santé et Santé publique France atteste d’une pression directe de M. Salomon sur l’agence afin qu’elle modifie la formulation des recommandations de ce rapport avant sa publication au grand public », conclut le rapport sénatorial.
 
Une « pression » contre laquelle la DGS se défend dans un communiqué. « Le directeur général de Santé publique France a apporté des modifications […] qui ont été acceptées par l’ensemble des contributeurs du rapport d’experts », peut-on y lire, alors que le gouvernement a renouvelé son soutien à Jérôme Salomon. « Jérôme Salomon s’est expliqué sur ce point-là : le rapport avait été commandé ; les experts sont allés au-delà s’agissant des thèmes du rapport ; il y a eu des discussions entre une tutelle et une agence ; tout s’est fait en lien et en accord avec les experts qui ont rédigé ce rapport », a assuré le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal.
 
Toujours est-il que cette actualité dérangeante amène à s’interroger sur la réalité de « l’indépendance scientifique » que prône Santé Publique France. Un événement qui pourrait, à terme, faire perdre un certain crédit aux informations relayées par l’institution à l’heure où elle est plus que jamais sous les feux des projecteurs

Les gros dossiers

+ De gros dossiers