"Les données sont importantes pour faire progresser la santé", analyse Audrey Tsang, la directrice générale de Clue, une application européenne de suivi du cycle menstruel, qui revendique 10 millions d'utilisatrices à travers le monde.
"Quand Clue a été lancé il y a une décennie, personne ne prononçait les mots menstruation ou ménopause", raconte la dirigeante lors d'une conférence au salon de la technologie Vivatech, qui se clôt samedi à Paris.
Or "quand on ne parle pas d'un sujet, quand on ne le mesure pas, on ne sait pas ce que cela représente".
Pas assez de données, donc moins d’essais cliniques : c’est le “gender gap”
Les diverses solutions proposées pour les femmes ont en effet besoin de reposer sur des éléments quantifiés, encore insuffisants aujourd'hui. Ainsi, selon un rapport du cabinet McKinsey pour le Forum économique mondial en janvier, le manque de données sur telle ou telle pathologie féminine, comme l'endométriose, a des conséquences importantes, que ce soit sur la prise en charge de la maladie ou sur les investissements qui lui sont dédiés.
"Les problèmes de santé des femmes sont systématiquement sous-estimés, avec des jeux de données qui excluent ou sous-estiment des maladies importantes", décrit-il.
Résultat, les femmes sont sous-représentées dans la recherche et les essais cliniques, un phénomène qualifié de "gender gap".
Les entreprises de la femtech veulent compléter les recherches et les accélerer
Dans ces conditions, les entreprises de la "femtech" contraction de "female" et "technology", le terme désigne les technologies dédiées aux femmes ont un rôle à jouer, affirme à l'AFP Juliette Mauro, entrepreneure et membre de l'association Femtech France.
"Les start-up commencent à récolter de la donnée en santé des femmes sur certaines pathologies sous-étudiées, ce qui permet de compléter les recherches et d'accélérer", décrit-elle. "A partir du moment où l'on montre qu'il y a un besoin, on a davantage d'investissements potentiels et plus de capacité à créer de l'innovation : c'est un cercle vertueux".
Des données préliminaires qui permettent de déjà mieux comprendre les femmes
Avoir accès à de larges bases de données est essentiel aussi selon Brittany Barreto, la fondatrice du cabinet américain d'études de marché FemHealth Insights. "Nous avons des données préliminaires qui montrent que les femmes hispaniques ont leurs menstruations plus jeunes, que les femmes asiatiques entrent dans la ménopause plus tôt que les autres", cite-t-elle lors du salon Vivatech. Connaître ces éléments permet de déterminer que "ce qui est normal pour telle femme ne le sera peut-être pas pour une autre".
Autre exemple parlant : une césarienne pourrait s'avérer nécessaire pour une femme qui n'est pas assez dilatée durant l'accouchement, tandis que pour une autre, plus âgée ou d'ethnicité différente, le phénomène pourrait s'avérer normal, explique-t-elle.
Un soucis par rapport aux données personnelles et la protection des femmes
Pour autant, dévoiler des données personnelles n'est pas sans risques. L'application américaine de suivi du cycle menstruel Flo s'est ainsi fait épingler par les autorités américaines en 2021 pour avoir fourni les informations personnelles de ses utilisatrices à d'autres sociétés, dont Google et Facebook, sans leur accord préalable.
"Il faut agir de manière responsable", réagit auprès de l'AFP Audrey Tsang, la dirigeante de Clue. "Nos clients paient un service (...) Ils ne seront jamais notre produit, nous n'allons pas vendre leurs informations personnelles", assure-t-elle.
Mais le danger n'est pas seulement la marchandisation des données. Dans un pays autoritaire, ou en cas de changement de législation, comme pour l'avortement désormais illégal dans plusieurs États américains, les conséquences pourraient être pire encore pour les utilisatrices, dont les données sensibles pourraient dévoiler qu'elles ont été enceintes, et choisi une IVG.
Delphine Moulu encourage les femmes à lire les conditions générales bien qu’en Europe le RGPD les protège plus
"Nous ne donnerions jamais les données de quelqu'un pour aider à les poursuivre en justice pour quelque chose qui à nos yeux relève simplement de la santé", assure Audrey Tsang, qui loue à cet effet le règlement européen RGPD sur le traitement des données personnelles.
"Il faut savoir quelle est l'origine d'une appli", abonde Delphine Moulu, cofondatrice de Femtech France, notant elle aussi que le droit européen sur les données est plus protecteur. L'entrepreneure encourage par ailleurs les utilisateurs à lire en détail les conditions générales des applis... Même lorsque la démarche est fastidieuse.
Avec AFP