Ramadan à l’hôpital : gérable ?

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Hier, le Ramadan a commencé. Il y a 3 ans, What’s up Doc était allé interroger des internes qui suivent ce jeûne. Comment gèrent-ils ? Est-ce compliqué ? Ils semblaient tenir bon, au cours de journées pas forcément plus compliquées que d’habitude. Et même plus faciles ? On a décidé de vous republier leurs témoignages.
[Première publication le 15/5/2019]

Ramadan à l’hôpital : gérable ?

© IStock

Nous sommes donc allés interroger les victimes préférées du système hospitalier, les internes, pour savoir comment ils géraient leur mois de ramadan, ils étaient à ce moment là à 10 jours de jeûne. Et, de manière étonnante, ils avaient tous l’air de plutôt bien s’en sortir ! Solides, les internes.

Sara, interne en 4e semestre de médecine générale. Stage de ville en MG.

What's up Doc : Ça va, tu gères ?

Sara : J’ai fait un renfort aux urgences hier entre 11h et minuit, et je n’ai pas pu couper à l’heure, à 21h23. J’ai dû attendre 22h ! On a eu un creux d’affluence entre 20h30 et 21h, un peu comme pendant les matchs de la coupe du monde, mais ensuite, les motifs d’admissions étaient assez urgents. Je n’avais pas fait de coupure de la journée mais au final, ça n’était pas très grave, j’ai tenu jusqu’à 22h et j’ai pu faire une pause de 45 min pour manger tranquillement.

Et au cabinet ?
 
S. Au cabinet, je termine à 20h, et je trouve ça au moins aussi fatigant ! La journée est moins dynamique. On a le temps de penser au fait qu’on jeûne et de compter les heures qui restent avant la fin…
 
Est-ce que la fatigue se ressent dans ton travail au quotidien ?
 
S. Non, pas vraiment. C’est vrai qu’en fin de journée, je suis parfois un peu moins concentrée, et il peut m’arriver de décrocher quelques secondes dans les conversations, de demander aux patients de répéter. Mais rien de vraiment pénalisant. Au final, ça n’est pas très différent de la fatigue normale d’un interne !
 
Tu te réveilles avant le lever du jour pour boire et manger ?
 
S. Oui, je me lève vers 4h pour boire un peu de lait et manger quelque chose. Mais je pense que je vais arrêter, car je sens que ça casse mon sommeil, et je commence à bien le sentir après plus d’une semaine de ramadan.
 
Face aux patients pratiquants, est-ce parfois difficile de faire entendre l’importance de prendre les médicaments à heures régulières, quitte à rompre le jeûne ?
 
S. Pour ceux qui ne sont pas en phase aiguë, ça arrive. On reçoit quelques patients qui consultent parce qu’ils se sentent fatigués. On leur explique que pour le diabète, ou l’hypertension, changer les horaires de prise de médicaments – surtout d’enchaîner tard dans la soirée et très tôt le matin –, ça dérègle. Alors, ils sont tous d’accord avec le principe, mais je sais très bien que certains ne vont pas tenir compte de nos recommandations…

Walid, interne en 4e semestre de MG. Stage en hôpital psy.

What's up Doc : Ça va, tu gères ?
 
Walid : Oui ! Je mets ma petite sonnette le matin vers 4h, je m’hydrate bien, je mange des fruits et un peu de pain, histoire de tenir la journée. Et ensuite, tout se passe bien. En tant que médecins, je pense qu’on a pris l’habitude de ces coupures de sommeil, de devoir se lever en pleine nuit puis se rendormir ensuite.
 
Et dans la journée, pas de coup de barre ?
 
W. Une fois que tu es dans l’activité, ça passe vite. Le fait de ne pas avoir le temps de réfléchir est un avantage, à mon avis. Hors ramadan, j’ai déjà fait des journées pleines aux urgences sans manger – et même sans prendre le temps d’aller pisser !
Le seul truc compliqué, je pense, c’est la répétition. À la fin, je serai sûrement un peu fatigué, mais au jour le jour, ça se passe très bien.
 
Tu arrives à manger à des heures décentes ?
 
W. Le soir, pour moi, ça va. Ceux qui galèrent le plus, ce sont ceux qui ont des gardes, aux urgences ou en anesth’ par exemple. Au moment de manger, ils sont souvent au charbon donc ils gardent quelque chose dans leur poche à grignoter en quelques secondes.
Mais à l’inverse, certains préfèrent prendre des gardes pendant le ramadan. Ils peuvent manger tranquillement la nuit, et dormir une partie de la journée. Ça passe plus vite !
 
Et avec les patients ?
 
W. Je suis en psy ce semestre, depuis à peine plus d’une semaine. À part un patient qui m’a dit qu’il voulait jeûner – et qui ne le fait pas, finalement –, je n’ai pas ce cas de figure. Mais l’année dernière, j’étais en médecine de ville. Je me souviens que certains demandaient à ajuster leur traitement, par exemple les diabétiques de type 2. Alors on essaie d’arranger la posologie et les horaires dans la mesure du possible. Quand ça n’est pas faisable, ils l’acceptent la plupart du temps. Après, il y aura toujours des gens bornés, ramadan ou pas. C’est le même principe que le patient BPCO de stade IV qui refuse d’arrêter de fumer !

Nadia, interne en 4e semestre de pneumo. Stage d’anesth’-réa.

What's up Doc : Ça va, tu gères ?
 
Nadia : En fait, je ne change pas mes habitudes, je garde mon rythme habituel. Les journées se déroulent de la même manière. Je prends ma pause le midi, et au lieu de déjeuner, je fais autre chose : je lis, je me repose…
 
Après dix jours, la fatigue commence à se faire sentir, non ?
 
N. Pour moi, c’est plutôt l’inverse. Les premiers jours sont un peu difficiles, mais ça y est, je commence à m’habituer ! C’est plus facile cette année que les années précédentes. Se lever vers 4h le matin, c’est moins anti-physiologique.
 
Est-ce que tu en profites pour prendre plus de gardes ?
 
N. J’en ai fait une mardi dernier… C’était assez dur car j’ai pu couper avec de l’eau et un bonbon, mais je n’ai pas vraiment mangé avant 23h30 ! L’année dernière, je m’étais arrangée pour ne pas prendre de garde. Au final, c’est supportable, mais je n’aime pas trop. L’intérêt du ramadan, pour moi, c’est de pouvoir passer du temps avec sa famille, de manger ensemble le soir et le matin. Et cette année, j’ai la chance de passer le mois avec eux, donc j’essaie d’en profiter !
 
Un petit conseil pour les confrères et consœurs ?
 
N. J’aurais tendance à dire qu’il faut tenter de rentrer pas trop tard, quitte à ne pas faire de pause dans la journée. Habituellement, quand je sors de stage après 20h, ça ne me dérange pas plus que ça. Mais là, c’est plus dur. Tenir le ramadan, c’est physique, mais c’est aussi psychologique. Et si tu arrives après l’heure du dîner, c’est plus compliqué à gérer…
 

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