What's up Doc : Vous êtes souvent perçu comme un défenseur de la psychiatrie. En quoi celle-ci a-t-elle besoin d'être défendue, alors qu’on connaît peu de défenseurs de la cardiologie ou de la gastroentérologie, par exemple ?
Pr Antoine Pelissolo. Au départ ce n’était pas un projet conscient, volontaire, cela s’est fait progressivement. J’ai commencé par parler dans les médias des sujets de santé mentale, pas des questions de moyens. Mais le contexte général, les problèmes que nous rencontrons en tant que professionnels, et donc ceux que les patients rencontrent, m’ont naturellement orienté vers des interventions plus militantes. Dans mon esprit, il s’agit de défendre la psychiatrie tout autant que l’hôpital public, dont elle est en quelque sorte le parent pauvre.
On utilise en effet souvent cette expression de « parent pauvre », qui est même devenue une sorte de cliché. Comment votre spécialité s’est-elle retrouvée dans cette situation ?
AP. C’est un cliché, mais il recouvre une réalité très concrète. Nous avons clairement été délaissés, négligés. Cela ne s’est pas forcément fait de manière volontaire, mais cela a eu des implications sur le plan financier. Alors qu’il y a une inflation des besoins en psychiatrie, les moyens ont plutôt stagné. Il faut éviter de se dénigrer en permanence, mais on doit constater que nous n’occupons pas une place centrale au sein de l’hôpital… même si je dois dire qu’ici, à Créteil, nous parvenons à être assez actifs pour ne pas être oubliés.
La psychiatrie souffrait-elle déjà de cette forme de relégation quand vous avez choisi d’en faire votre métier ?
AP. Pas vraiment. Certes, c’est une spécialité qui a toujours eu une image particulière, qui n’a jamais été très valorisée, et je me souviens que certains professeurs nous disaient que si nous ne travaillions pas, nous finirions psychiatres dans telle ou telle ville éloignée. Nous savions qu’en faisant ce choix, nous aurions une carrière un peu différente, mais nous pensions que nous aurions les moyens de travailler correctement. Nous n’imaginions pas vivre dans le climat de pénurie quotidienne que nous connaissons actuellement.
Et qu’est-ce qui vous a décidé à faire le choix de cette spécialité « particulière » ?
AP. J’ai clairement choisi la médecine en pensant à la psychiatrie. J’étais notamment motivé par les aspects philosophiques, par la psychanalyse freudienne, qui me passionnait à l’époque même si j’en suis rapidement revenu. J’ai fait mes études à Paris, à Necker, où j’ai comme beaucoup été marqué par de grandes figures qui ont su nous transmettre leur savoir. J'ai tout de même eu une légère hésitation : j’ai envisagé la neurologie, qui est une discipline assez voisine. Mais j’ai finalement choisi la psychiatrie, et je n’ai aucun remords. Je dois cependant dire que ce qui m’a attiré, presque autant que la discipline, c’est l’hôpital en lui-même : la notion d’équipe, les transmissions… j’ai été accroché par cet environnement, et je n’ai pas lâché depuis !
Comment vous êtes-vous orienté dans la voie universitaire ?
AP. Dès mes études, j’ai découvert la richesse de la recherche. Je me souviens notamment d’un des premiers médecins avec lesquels j’ai travaillé, qui m’a dit que la psychiatrie, c’est l’apprentissage de l’échec. C’est quelque chose qui fait du bien à entendre dès le début, car on sait à quoi on sera confronté, mais cela donne également envie d’améliorer par la recherche ce que nous pouvons faire pour les patients.
On a effectivement souvent cette image d’une psychiatrie qui tente en permanence de remplir le tonneau des Danaïdes, qui ne parvient pas à guérir ses patients… Est-ce un autre cliché ?
AP. Vu de l’extérieur, on peut effectivement avoir cette impression d’un travail sans fin. Il y a une partie de la discipline où l’on peut, au mieux, espérer stabiliser les personnes qui souffrent. Dans ces cas-là, cette stabilisation est déjà un résultat. Mais la psychiatrie est un domaine gigantesque. Dans une vaste majorité des cas, nous pouvons proposer des solutions. Les moyens nous manquent souvent, mais c’est un autre sujet. Sur les troubles anxieux par exemple, sur lesquels je travaille beaucoup, nous avons des outils qui fonctionnent, même quand il s’agit de troubles sévères.
« La psychiatrie “Grande Cause nationale”, risque de n’avoir donné que de grands espoirs, notamment aux patients »
Comment avez-vous commencé à intervenir dans les médias pour défendre cette vision de la psychiatrie et de l’hôpital public ?
AP. J’ai commencé par communiquer sur des sujets professionnels, dans le cadre universitaire, dans l’enseignement, mais aussi pour le grand public. Les médias sont assez demandeurs d’informations sur les pathologies, notamment les phobies, les troubles anxieux… Il y a un besoin, j’ai écrit quelques livres sur ces sujets et j’ai assez vite connu des journalistes. Et de fil en aiguille, ils en sont venus à me demander comment cela se passait dans mon service, et j’en suis venu à parler de sujets plus organisationnels.
Pourquoi aviez-vous cette envie d’expliquer ces sujets au grand public ?
AP. Je trouve que c’est essentiel, notamment parce que beaucoup de personnes ont encore une image très négative de la psychiatrie : beaucoup ne veulent pas consulter, certains assimilent les traitements que nous proposons à de la drogue… Expliquer ce qu'est une thérapie, un médicament, c’est une partie cruciale de notre boulot, et je continue à le faire avec plaisir.
Est-ce la politique qui vous a amené à l’engagement en faveur de l’hôpital public et de la psychiatrie, ou est-ce l’inverse ?
AP. J’ai de longue date été au PS [Parti socialiste, NDLR], mais je n’avais jamais vraiment beaucoup milité : j’avais une carrière hospitalo-universitaire, et je ne pouvais pas tout faire. J’avais tout de même participé au mouvement contre la loi HPST [Hôpital, Patients, Santé et Territoires, ou loi Bachelot de 2008, NDLR], mais c’est surtout quand est né le Collectif inter-hôpitaux que j’ai pris le wagon, en quelque sorte. J’ai alors rencontré pas mal de responsables du PS, et c’est comme cela que je me suis retrouvé impliqué dans la politique locale, et que j’ai été élu à Créteil en 2020.
Justement, comment faites-vous pour concilier vos responsabilités politiques d’adjoint au maire de Créteil et d’élu au Conseil départemental, vos responsabilités hospitalières, vos responsabilités universitaires, la recherche, les interventions dans les médias ?
AP. Pour le Conseil départemental, je suis élu d’opposition et cela change tout. Et j’avoue avoir moins d’activités de recherche ces derniers temps. Mais c’est vrai que la somme de mes activités peut paraître importante. Ce qui me sauve, c’est l’unité de lieu. Que ce soit en visio ou non, je peux presque tout faire depuis Créteil. Et certaines thématiques se recoupent. Je m’occupe par exemple du secteur de la psychiatrie à Créteil, et parfois je ne sais pas si je suis dans une réunion au titre de la mairie ou au titre de l’hôpital. Pour moi c’est la même chose, il s’agit de santé publique. Quant à ce qui est plus directement politique, je fais cela le soir et le week-end.
Ne craignez-vous pas que vos efforts pour alerter sur la situation de la psychiatrie ne nuisent encore davantage à son attractivité auprès des futurs soignants dont vous avez tant besoin ?
AP. C’est une question que nous nous posons souvent. La psychiatrie est un métier formidable, nous répondons à des besoins réels, et c’est très gratifiant. Il faut continuer à le dire, mais il faut aussi dire que malheureusement on n'a pas les moyens de faire les choses aussi bien qu'on le voudrait. Malgré toutes ces difficultés, je n’ai cependant jamais vu d’interne qui regrette son choix. De plus, comme je le disais, la psychiatrie est vaste, et ceux qui ne veulent pas faire de soins lourds, par exemple, peuvent faire autre chose et ils seront heureux dans la vie.
Vous avez beaucoup œuvré pour que la psychiatrie soit déclarée « Grande Cause nationale » pour 2025 ; nous sommes à l’automne, le bilan n’est-il pas quelque peu décevant ?
AP. Ce n’est pas mon genre, mais je suis un peu en colère à ce sujet. Le Ministre a annoncé en juin un plan pour la psychiatrie : je le crois sincère dans sa démarche, les mesures qu’il propose sont plutôt sensées sur le fond, mais il a dit lui-même qu’il n’y aurait aucun moyen supplémentaire. Dans ces conditions, je ne vois pas ce qu’on peut espérer. Et le pire, c’est que maintenant qu’on a eu ce plan, on ne peut plus espérer autre chose de la part de ce gouvernement. Cette « Grande Cause » risque de n’avoir donné que de grands espoirs, notamment aux patients. C’est vrai que sur le volet communication, sur les aspects de stigmatisation, la Grande Cause aura permis d’avancer. Mais les énormes problèmes de moyens humains que nous rencontrons au quotidien ne vont pas s’améliorer, même pas un tout petit peu, avec ce plan.
Et au vu de la politique budgétaire annoncée par le Gouvernement, comment voyez-vous l’avenir ?
AP. Il faut toujours conserver l’espoir, c’est ce que je crois en tout cas. Mais il ne faut pas se contenter d’attendre. Nous allons, par exemple dans le cadre du prochain budget de la Sécurité sociale, continuer à nous battre pour davantage de moyens. Au PS, nous ne lâcherons pas. Lors de la dernière campagne présidentielle, nous voulions faire de la psychiatrie une grande cause non pas pour une année, mais pour tout le quinquennat. C’est vrai qu’il y a un problème budgétaire dans le pays, mais cela n’empêche pas de prioriser. Aujourd'hui, j’ai 115 % d’occupation dans mon service, qui me dira que ce n’est pas une priorité ? Je ne dis pas qu’il existe une solution facile unique, mais il faut y travailler.
Cela ressemble à un programme politique, et il y a justement des échéances électorales qui arrivent : des municipales, d’éventuelles législatives, une présidentielle… Avez-vous une déclaration à faire en exclusivité pour What’s up Doc ?
AP. Non, j’entends juste continuer mes activités actuelles, et travailler de plus en plus au niveau local.
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