
Xavier Bertrand © Capture d'écran BFM TV
Xavier Bertrand à Matignon ? Sa nomination serait « contraire à la logique institutionnelle », a estimé vendredi Lucie Castets, la candidate proposée par le Nouveau Front Populaire pour le poste, dans les colonnes de La Marseillaise.
Pour autant, l’ancien chef de l’UMP et actuel président de la région Hauts-de-France fait de plus en plus parler de lui ces derniers jours. Il serait même « prêt à relever le défi » de la médiation entre les trois blocs, selon des déclarations récentes de ses proches dans le Figaro Magazine.
À What’s up Doc, l’homme nous intéresse puisqu’il a occupé la fonction de ministre de la Santé et des Solidarités lors du gouvernement De Villepin (2005-2007) puis ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé sous le troisième gouvernement Fillon, de novembre 2010 à mai 2012.
On lui doit quelques temps forts de la vie politique sanitaire récente, comme la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) au milieu des années 2000. Mais il laisse surtout un goût amer aux hospitaliers qui l’accusent notamment d’avoir accéléré la fermeture de lits.
La Drees, agence de statistiques du ministère de la Santé, évaluait dans son rapport de 2019, que 69 000 lits d’hospitalisations ont été supprimés entre 2003 et 2017, dont deux tiers sous le seul mandat Sarkozy, selon des syndicats hospitaliers.
L’ami des médecins libéraux
« Xavier Bertrand a été l’une des personnalités chargées de recoudre la blessure entre les syndicats de médecins libéraux et la droite » ouverte par le plan Juppé, explique à What's up Doc Frédéric Pierru, chercheur au CNRS et spécialiste des politiques de santé.
La réforme de la sécurité sociale de 1995, dit plan Juppé, a conduit à une mobilisation historique de la médecine libérale, notamment contre l’augmentation des cotisations dans les deux secteurs conventionnels et les sanctions financières en cas de dépassement de l’Ondam (objectif national de dépenses de l’Assurance maladie, qui fixe le montant des dépenses à ne pas dépasser pour les établissements de santé) ; une mesure qui sera finalement retirée.
Avec pour « seule boussole », la volonté de ne pas froisser les syndicats libéraux, l’ex-ministre de la Santé a mené une politique très pro-médecine libérale, et a contrario « très austéritaire » vis-à-vis de l’hôpital public, selon le sociologue.
« Il a fait porter le poids de la réduction du déficit de l’Assurance maladie sur les épaules de l’hôpital public, en lâchant les vannes du point de vue de la médecine libérale », matérialisée notamment par une « plus forte progression de l’Ondam de ville, que de l’ondam hospitalier ».
Côté libéral en revanche, « sa politique c’était : ‘on ne touche pas à la liberté d’installation ni au dépassement d’honoraires’ » et on instaure la franchise médicale, ce reste à la charge du patient lors de l’achat de médicaments, entrée en vigueur au 1er janvier 2008.
« Impitoyable avec l’hôpital public »
Xavier Bertrand est aussi connu pour avoir été l’un des acteurs du déploiement « extrêmement rapide » de la tarification à l’activité (T2A), initiée par ses prédécesseurs Jean-François Mattei et Philippe Douste-Blazy et lancée quelques mois avant son arrivée rue de Ségur.
À partir de 2004, l’hôpital ne reçoit plus une enveloppe pour assurer son fonctionnement, il est payé pour les actes qu’il réalise. L’une des conséquences, selon les critiques formulées, a été de pousser les établissements de santé à pratiquer les actes les mieux rémunérés, comme les opérations.
« Les patients sont réduits à des valeurs financières (…) La T2A, c’est de l’immédiateté, de la rentabilité immédiate pas du tout adapté à du soin de longue durée », rapportait en 2021 auprès de Radio France, le Dr Florian Vivirel, urgentiste au CHU de Nantes.
« C’est sous cette période que le financement des soins courants est passée en dessous de 50% », renchérit Frédéric Pierru.
Mise à la dette budgétaire de l’hôpital, déploiement de la T2A et de la franchise médicament… Si Xavier Bertrand a été « très accommodant avec les syndicats de médecins libéraux », il a été en revanche « impitoyable avec l’hôpital public », pour le chercheur.
La pénurie de masques, un « mauvais procès »
L'ancien ministre de la Santé est aussi accusé d'avoir participé au changement de doctrine sur la prévention des épidémies, qui a abouti à l’évaporation des stocks de masques.
L’intéressé a toujours démenti son implication, notamment devant la commission parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire du Covid-19 en juillet 2020. Il a estimé que la doctrine du port du masque mis en place par le plan gouvernemental de prévention et lutte contre les pandémies grippales en janvier 2006 « n’a jamais été remis en cause ».
« Quand j’ai quitté mes fonctions de ministre de la Santé en 2012, il y avait 1,4 milliard de masques en stock. Il n’y avait pas de pénurie. Quand j’ai eu à préparer le plan français contre les risques pandémiques, nous n’avons pas manqué d’un seul masque pendant la pandémie de grippe H1N1 », s'était-il défendu en 2021 sur France Inter.
Pour Frédéric Pierru, sur la question de la pénurie de masques, rejeter la faute sur Xavier Bertrand constitue un « mauvais procès ».
À l’époque, comme plusieurs de ses voisins européens, la France mène une politique austéritaire à tous les points de vue, pour essuyer les plâtres du krach financier.
« On ne peut pas mettre ça sur le dos d’un seul homme », admet le chercheur, « le ministère de l’économie est monté au créneau et a rogné sur tous les budgets », y compris sur celui de la santé, car « on avait le sentiment de s’être sur-préparé à la pandémie de H1N1, qui n’est jamais venue ».
Le sociologue rappelle aussi qu’un bilan individuel reste compliqué à dresser, puisque les politiques de santé se caractérisent par leur continuité, « par-delà les alternances politiques ».
Et en tant que ministre, « on a très peu de marge de manœuvre, une fois que le système de santé est lancé sur une trajectoire, c’est très difficile de l’infléchir ».
Emmanuel Macron réunira les présidents de groupes parlementaires et chefs de partis ce vendredi 23 août pour « une série d’échanges », desquels devrait découler la nomination du nouveau Premier Ministre.
Si Lucie Castets devrait être reçue côté NFP, Xavier Bertrand n’aurait pour le moment fait l’objet d’ « aucune sollicitation », selon l’entourage de l’intéressé.