Médecin et migrant, une transition difficile

Article Article

Se reconstruire, un chemin sinueux

Médecin et migrant, une transition difficile

La question des migrants est si présente dans l’actualité qu’on en oublie parfois que derrière la masse des exilés se cachent des individus avec leur histoire propre. Rencontre avec Thoeiba, médecin soudanaise réfugiée en France
 

L’allure est frêle, mais le pas, lui, est assuré. C’est un curieux mélange de détermination et de lassitude que l’on perçoit dans les yeux de Thoeiba, médecin généraliste originaire de Khartoum, réfugiée en France depuis trois ans. Derrière les traits amaigris et fatigués par de longs mois de fuite, on perçoit chez cette Soudanaise proche de la quarantaine la volonté tenace de lutter pour ses idées. Témérité qui l’a poussée à quitter, avec son mari, son pays à l’automne 2013. 

« J’ai commencé à exercer la médecine il y a seize ans », se souvient-elle avec un sourire. « J’ai été diplômée de l’Ahfad University for Women en 2000 à Khartoum et je suis rentrée au ministère de la santé en 2003 », explique Thoeiba. Une belle ascension pour cette idéaliste qui co-organise en 2006, avec sa chef de service, un projet de regroupement de services dédiés au traitement des malades de la tuberculose et du Sida. Le projet d’une vie dont elle parle avec un mélange de conviction et de nostalgie. « Il n’y avait pas d’experts soudanais dans ce domaine, cette unité était une petite révolution », se souvient-elle. Une révolution qui attire de nombreux donateurs… mais aussi son lot d’ennuis.

« Malheureusement, ces dons ont attiré l’attention du gouvernement », déplore la praticienne avec amertume. S’engage alors une bataille de cinq ans contre les instances gouvernementales soudanaises pour tenter de conserver les fonds dédiés à l’unité de soin. « Ils ont tout tenté pour nous faire abandonner », raconte Thoeiba qui énumère alors méthodiquement les pressions dont elle se souvient : confiscation de véhicules d’intervention, remplacement du personnel en place, interdiction de réunions de prévention contre le VIH, ralentissement des transferts de fonds… sans compter bien sûr les pressions psychologiques qu’elle subit quotidiennement.

Un départ précipité vers l’inconnu

Thoeiba choisit alors de quitter le pays accompagnée de son mari en octobre 2013. Un départ précipité qui l’oblige à faire un choix douloureux. « Nous avons dû laisser les deux enfants que mon mari a adoptés sur place avec ma famille », explique-t-elle les larmes aux yeux. Artiste reconnu au Soudan, son mari était lui aussi persécuté par le gouvernement, nous confie-t-elle. Prétextant un congrès à l’étranger, ils s’envolent alors pour la France. 

À l’arrivée, elle raconte que ses bagages disparaissent, la laissant sans document d’identité. « Ça a rendu les choses extrêmement compliquées. Pour obtenir des papiers français, il faut pouvoir se domicilier en France, or pour être domicilié en France, il faut avoir des papiers… » Elle part alors en Norvège ou elle espère pouvoir s’installer pour effectuer un master recherche d’un an. Malheureusement, les accords de Dublin ne lui permettent que de rester six mois sur place. 

S’établir en France, un choix difficile

Elle doit finalement revenir en France. Débute alors un parcours du combattant où se mêlent les nuits à dormir dans les rues, les déménagements à répétition, les services sociaux qui, débordés, doivent renoncer à la prendre en charge, elle et son mari. « On nous a finalement envoyés dans un CADA [centre d’accueil de demandeurs d’asile, ndlr] à Langeac en Auvergne. Nous y sommes restés quelques temps avant de finalement revenir sur Paris. » Sur place, on lui explique encore une fois que les centres d’accueil ne peuvent pas les héberger. « Par chance, une bénévole du 115 nous a aidés. Elle nous a mis en relation avec des amis à elle qui ont accepté de nous héberger pour nous permettre d’obtenir le droit d’asile que nous avons finalement obtenu en octobre 2015. » Cette même bénévole les met alors en contact avec l’APSR (Association d’accueil aux personnels de santé réfugiés), ce qui permet à Thoeiba d’entrer dans le difficile parcours qui mène à la reprise des études de médecine. Pour le moment, elle apprend chaque jour le français, et espère d’ici quelques mois pouvoir passer le test de langue qui lui permettra, un jour, d’exercer son métier, ici en France. 

« J’aime beaucoup la France », nous glisse-t-elle avec tristesse lorsqu’elle nous quitte, « mais si l’occasion m’était donnée, je rentrerais au Soudan sans l’ombre d’une hésitation ».

___________________________________________________

À lire également : Médecins réfugiés, médecins oubliés

Source:

Johana Hallmann

Les gros dossiers

+ De gros dossiers