Le chat et la Syrie

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Critique de Les Fantômes, de Jonathan Millet (sortie le 3 juillet 2024)

 Hamid a survécu aux geôles du régime de Bachar El-Assad et, parallèlement à une demande d’asile politique, traque son ancien bourreau au sein d’une organisation secrète qui recherche les criminels de guerre syriens réfugiés en Europe. Un jour, il croit le reconnaître…

Le chat et la Syrie

Les Fantômes, de Jonathan Millet

© DR

Un premier film maîtrisé et ambitieux qui réussit à faire coexister un univers mental, une topographie ordinaire et une dimension politique mondiale, nous en faisant ressentir les points de jonctions comme l’inexorable cloisonnement.

Trois mondes : l’intime, le quotidien et l’universel. Plus un quatrième hors champ, celui qui donne son titre à ce brillant premier film, cette armée des ombres constamment à la lisière, qui ne nous est jamais réellement montrée, communiquant via un jeu de guerre en ligne ne faisant que renforcer un sentiment de virtualité. Des fantômes parmi lesquels évolue Hamid, réfugié à la densité sacrément humaine pour le coup, dont l’on suit le parcours où se mêlent à la fois détermination et errance, frappante illustration du fonctionnement de la psyché post-traumatique. 

« Les Fantômes repose ainsi sur un dispositif ultra-élaboré, à la fois très proche et très différent du documentaire comme du thriller d’espionnage, d’où réussit à émaner une émotion venue des tréfonds de la souffrance » 

C’est Adam Bessa, comédien au jeu aussi économe que magnétique, qui incarne cet homme prisonnier d’un espace-temps coincé entre passé et présent, et dont l’isolement est particulièrement bien rendu par la musique évocatoire de Yuksek. Le regard fermé, le corps meurtri, la parole rare, n’empêchent pourtant pas au comédien et à son réalisateur d’ouvrir grand la porte sur un territoire mental que l’on sent empli de contradictions, au-delà de certitudes qui ne semblent présentes que pour empêcher que l’édifice péniblement reconstruit ne s’écroule totalement. L’opacité de cet univers repose beaucoup plus sur le contraste créé entre l’apparente familiarité de décors quotidiens et de lieux balisés et un monde communautaire peu connu où persistent les conséquences paranoïaques d’un régime dictatorial, que sur l’hermétisme de son héros. Le cheminement de ce dernier est beau parce qu’il est imperceptible, il est raconté simplement  et jalonné de rencontres constamment impossibles, de liens amputés - amoureux, filiaux ou autres. C’est d’ailleurs au contact de son « ennemi » que Hamid se rapprochera le plus d’une expérience humaine concrète et tangible, et c’est en acceptant de se reconfronter à la complexité du monde et de l’âme, tout en rencontrant enfin « ses » morts dans une scène signifiante mais sobre, qu’il sortira - peut-être - d’un clivage post-traumatique.

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Les Fantômes repose ainsi sur un dispositif ultra-élaboré, à la fois très proche et très différent du documentaire comme du thriller d’espionnage, d’où réussit à émaner une émotion venue des tréfonds de la souffrance. En cela, il n’est jamais submergé par sa propre sophistication.

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