Comment se définit le soft power ?
François Backman : Tout cela c’est de la politique. Si la Chine envoie ses masques, si le Maroc essaie d’envoyer des respirateurs un peu partout, cela permet d’accroitre leur image, leur aura et d’être perçu comme un pays aidant. C’est la géopolitique de la santé.
Comment Cuba a-t-elle exercé son soft power médical pendant la crise du COVID ?
F B : Par rapport aux autres pays, ce que Cuba a spécifiquement fait en matière de valorisation de ses capacités médicales, c’est une action sur le vaccin. Elle a sorti deux vaccins : le soberana et l’abdala (CIGB-66). Cuba est en effet un tout petit pays sous blocus américain. Le système de santé y est totalement à plat : trouver du doliprane équivaut à un parcours du combattant. Cuba a voulu montrer qu’elle était capable de tenir « la dragée haute aux grands labos ». À partir de là, Cuba a développé toute sa rhétorique autour de « nous petit pays du sud, nous pouvons nous débrouiller. Nous ne sommes pas les méchants laboratoires. Tout seuls nous arrivons à développer un vaccin. » Ils avaient pour projet de faire des partenariats avec l’Iran et le Vietnam afin d’exporter leur vaccin. Au final, ce projet est tombé à l’eau, mais tout le pays a reçu ses deux doses de vaccin. Cela illustre parfaitement un soft power covidien.
Qu’est ce qui les a poussés à envoyer leurs médecins en Afrique ?
D’une part, Cuba ne pouvait pas exporter ses médecins dans les pays traditionnels : c’est-à-dire le Brésil et le Vénézuela. D’autres part il manquait des ressources du tourisme, ils ont exporté leurs médecins un peu partout dans le monde. Mais ce qui est intéressant c’est que ce n’est pas uniquement un soft power au niveau mondial aussi un soft power retraduit parmi la population. À chaque départ de médecins, un petit reportage est diffusé à la télévision, répercuté sur les réseaux sociaux. Vous voyez toutes les blouses blanches, les batas blancas, avec le drapeau cubain, qui partent sauver les populations.
Quel était le but de cette action ?
F B : Depuis des décennies, Cuba, exporte ses médecins dans but humanitaire. Mais c’est aussi l’une des principales sources de rentrées de devises avec le tourisme. Avec le Covid, l’économie était à genoux. Les émeutes de juillet 2021 l’illustrent. Cuba est étranglée par le blocus américain. Comme il n’y avait plus de tourisme, elle a essayé de jouer sur l’exportation de médecins. Tout cela autour d’un discours castriste « nous sauvons l’humanité », et pour le rayonnement du pays.
Les Médecins sont-ils conscients de leur double rôle ?
F B : Il n’y a pas que des médecins qui partent à l’étranger, mais aussi des infirmiers et d’autres soignants. J’ignore s’ils en sont conscients. Selon la presse cubaine ils sont fiers de représenter leur pays à l’international.
Selon vous, ce genre d’action est-il bénéfique malgré tout ?
F B : Comme les médecins sont peu nombreux c’est une action d’une ampleur modérée. Et il ne faut pas oublier la barrière de la langue. C’est une action symbolique qui traduit une vision politique et une vision du monde. Et cela rapporte de l’argent.
Par qui sont-ils envoyés, sont-ils des médecins militaires ?
C’est le gouvernement qui les envoie, et ce sont des médecins civils.
D’autres pays se sont servi du Covid à des fins de soft power, comme Madagascar, dont le président, Andry Rajoelina a développé un remède à base d’artemisia : le Covid-Organics. Ce remède contesté dans la presse internationale lui a permis « d’avoir une nouvelle visibilité, et de renforcer son image de leader qui se dévoue pour sa population » explique François Backman. Cette technique n’est pas nouvelle. En 1963, déjà, la Chine faisait en sorte d’entretenir un soft power médical selon le journal The Diplomat. Présente lors de l'épidémie d'Ebola, elle propose ses propres médicaments contre le paludisme et initie aux soins traditionnels tels que l’acupuncture. Selon ce magazine l'argent, les personnels de santé envoyés pour soigner, former et consolider des systèmes de santé naissants, ont été grandement appréciés. Ce soft power a permis d’améliorer les standards sanitaires tout en renforcant leur position en Afrique. |