La thérapie multifamiliale, une approche collective pour guérir en famille

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Lorsqu'une adolescente souffre d'anorexie mentale, sa famille "fait partie de la solution" dans le cadre d'une thérapie multifamiliale, une approche innovante née en Grande-Bretagne, dit à l'AFP le pédopsychiatre Noël Pommepuy, chef de pôle enfant et adolescent à l'hôpital psychiatrique Ville-Evrard en Seine-Saint-Denis.

La thérapie multifamiliale, une approche collective pour guérir en famille

© Midjourney X What's up Doc

 

Qu'est-ce que la thérapie multifamiliale ?

Noël Pommepuy : Cette thérapie réunit 5 à 10 familles dans un même lieu autour d’un même problème : anorexie mentale, autisme, toutes sortes de pathologies, mais aussi difficultés d’inclusion scolaire, divorce tumultueux... On utilise des activités, des jeux, qui vont permettre de voir les choses sous un angle différent. 
Par exemple, le temps d’un atelier, un jeune se retrouve dans une « famille adoptante », avec d’autres parents : ça va favoriser un dialogue intergénérationnel pas forcément possible avec les siens.
De leur côté, les parents vont réaliser que, parfois, ils s’y prennent mal avec leur ado… mais qu’ils ont de vraies compétences avec un autre ado.
Aussi, les jeunes doivent dessiner avec leurs frères et sœurs un blason de leur famille, représentant ses valeurs et ses forces.
Cela les oblige à réfléchir aux aspects positifs de leur famille, en dépassant l’hostilité, l’agressivité liée à la maladie. Parler, entendre des points de vue différents de personnes qui ont les mêmes problèmes, ouvre de nouvelles perspectives.

 

Son efficacité est-elle démontrée ?

N.P. : Deux travaux de recherche publiés en 2018 dans la revue Journal of Family Therapy montrent des résultats encourageants pour toutes les pathologies : réduction des symptômes, réhospitalisations moins nombreuses, plus courtes...
Un autre, fait en Angleterre sur 167 familles de patients souffrant d’anorexie mentale, a montré que la thérapie familiale, complétée par cette thérapie multifamille, donnait de bien meilleurs résultats.
Mieux soutenus par leur famille, les patients adhèrent davantage aux soins, leur qualité de vie s’améliore et ces familles très isolées reprennent contact avec leur environnement.

 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/sante-mentale-comment-ameliorer-la-prise-en-charge-des-jeunes

 

L'idée est d'aider les familles à mieux soutenir leur adolescent ?

N.P. : Dans la maladie mentale, bien plus que dans d’autres pathologies, on a tendance à penser que la famille a une responsabilité, alors que les facteurs familiaux ne sont qu’un élément.
Or depuis 25 ans, les thérapies familiales ont montré que la famille n’est pas le problème : elle fait partie de la solution et elle a besoin de se sentir reconnue comme telle.
En thérapie multifamiliale, sentir qu’on est sur le même bateau crée une dynamique forte : les gens ont besoin du groupe, parce que la maladie isole.
Quand vous avez un enfant anorexique, vous n’invitez plus personne, n’allez plus au restaurant, votre cercle relationnel se restreint, c’est très dur.
Certaines familles disent : « On ne rit plus, on ne parle plus à table ». Cela crée de la souffrance, du désespoir dont l’enfant souffre : plus personne ne peut rire, l’aider à penser à autre chose.

 

En quoi cette thérapie aide-t-elle les adolescentes souffrant d'anorexie mentale ?

N.P. : Elle les oblige à affronter leurs peurs autour de l’alimentation, les amène à comprendre que les parents sont là pour les soutenir, et aux parents que leur enfant souffre d’une maladie qui a une emprise sur lui.
Ne pas manger ne vient pas d’une mauvaise volonté, ne dépend pas d’un déclic, c’est un processus dans lequel les parents ont un rôle à jouer.
Cela crée une situation d’accompagnement où la jeune se dit : « Je me débats avec une maladie, je dois progresser et parfois mon entourage doit me cadrer » au lieu de : « Ma mère est sur mon dos ».
Cela l’aide à s’autonomiser, à combattre la maladie, et les parents à former une équipe, avec l’enfant et les professionnels.

 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/les-vrais-chiffres-de-la-sante-mentale-des-jeunes-un-defi-massif-un-enjeu-pour-les-medecins

 

Est-elle répandue en France ?

N.P. : La thérapie multifamiliale, née dans les années 1970 en Angleterre, est largement diffusée et pratiquée depuis 20 ans en Allemagne, aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves, en Suisse...
Elle suscite un grand intérêt en France et en Belgique.
Au sein de l’Association parisienne de recherche et de travail avec les familles (APRTF), nous avons formé plus de 200 personnes depuis 2019.
En France, où le système de santé s’essouffle, c’est une manière plus collaborative et inclusive d’aborder les troubles.
Ces soins exigeants obligent les thérapeutes à penser différemment, parce que le modèle encore dominant, appris à la fac, c’est de voir les patients et familles en consultation, dans notre bureau.

 

Avec AFP

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