La semaine 0 : Monde(s) Parallèle(s)

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« What’s Up Doc » a proposé à Jean-Victor Blanc, psychiatre hospitalier parisien et membre de la rédaction, de tenir une chronique de la pandémie du Covid 19. Retrouvez chaque semaine, une lecture des évènements à l’aide de références pop culture.

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La semaine 0 : Monde(s) Parallèle(s)
 
Jean-Victor Blanc est médecin psychiatre à l’hôpital Saint Antoine (Paris). Retrouvez chaque semaine sa lecture de la pandémie Covid 19, entre urgences sanitaires et références pop culture.
 
 
Drôle d’expérience pour un psychiatre que de vivre l’extra-ordinaire. Ce point de bascule entre le possible et l’irrationnel. En effet, une partie de notre métier consiste à aider à prendre de la distance vis-à-vis de craintes envahissantes ou infondées. La certitude que la vie n’aura plus jamais la même saveur, la croyance que le monde cours à sa perte, ou la pensée que se laver les mains pendant 4 heures par jour est une règle de survie… En temps normal, le travail d’accompagnement passe par la réassurance, l’opposition à la factualité du réel, parfois une aide médicamenteuse pour extraire le patient de ces cognitions aliénantes.
 
Si on m’avait dit que j’allais entendre un jour des oiseaux chanter dans le silence de Paris, vivre un mercredi sans nouveaux films au cinéma ou voir une queue digne d’un concert de Britney Spears à Bercy pour du papier toilette chez Franprix, j’aurais probablement taxé ces propos de « productions délirantes ».
Aujourd’hui, un psychiatre qui doit accompagner les patients, à tâtons, vers ce je-ne-sais-quoi de funeste, où l’inédit se manifeste au quotidien, a une certaine ironie. C’est, dans tout les cas, une expérience marquante.
 
 
Comme beaucoup de médecins, j’ai fait part d’une certaine dose de déni initialement. Mea culpa, je reviens de loin. Ma tirade « ce n’est pas pire que la grippe, le vrai scandale c’est celui du drame au quotidien à l’hôpital », sortie à un journaliste, il y a peine quinze jour, me parait bien ridicule aujourd’hui.
Dans un contexte médiatique où les crises se succèdent à la cadence infernale des Blockbusters de Marvel, j’essaye de les aborder avec distance. Ma source d’information principaleme est un quotidien que j’estime digne de confiance. Le Monde, version papier, à l’ancienne.
Contrairement au bombardement des notifications de news, réseaux sociaux et autres BFM, l’information reste donc gentiment confinée dans ces pages grises jusqu’au moment où on vient la chercher.
 
C’est donc avec circonspection qu’en janvier, j’accueillais les nouvelles de celui qu’on appelait alors de manière générique le « coronavirus ». Ce pathogène de la famille des coronaviridæ m’évoquait au mieux quelques lapidaires lignes d’un cours de virologie lors de mes études de médecine. Il figurait dans le grand fourre-tout des microbes responsables de troubles trop bénins et fréquents pour faire l’objet d’une leçon en bonne et due forme lors de la formation des médecins français. En six ans, savoir comment on attrape un rhume ou précisément ce qu’il faut faire, ou pas, pour limiter la transmission d’une grippe ne paraît pas prioritaire dans l’enseignement des maladies infectieuses. On préfère nous faire apprendre par cœur la distinction entre une dermatophytose microsporique et une teigne trichophytique  (spoiler : la couleur « jaune-verte » des poils à la lampe ultraviolette).
 
Et puis, le 12 Mars, on passe dans l’Upside Down, une autre dimension. Mais, pas de monstres à la Strangers Things (Netflix), notre Président nous dit tout simplement qu’on est des « héros en blouses blanches ». Promotion express après avoir eu l’impression de faire seulement parti d’une belle bande de bras cassés tout juste bon à troubler la fête de la Start Up Nation avec nos lamentations et demandes de moyens pour exercer correctement.
 
Là encore, ce sont des souvenirs des bancs de la fac qui me reviennent : les cours de Santé Publique. Soit le climax d’une dissipation et motivation dégradée pour les étudiants reçus au concours de première année. On y parle du système de soin et de ses crises potentielles. La prof, histoire de nous la faire boucler deux minutes, nous informe qu’en cas de force majeur, nous pouvions être réquisitionné par l’Etat pour une mission de soin. Dans le monde d’avant les attentats de Paris, la maximum de ce que nous pouvions imaginer comme breaking news, c’était la possibilité d’une femme, Ségolène Royal, à l’Elysée. Une guerre, une attaque bio-terroriste ou une pandémie virale, ça nous semblait tout juste bon à un scénario pour Hollywood (l’exemple le plus proche en tête c’était le coup du singe enragé dans le nanar « Alerte ! »).
Ce 12 Mars, quand le Président de la République nous a dit que toutes les forces soignantes seraient mobilisées, des plus jeunes aux retraités, ça été le premier moment de déréalisation. Quelque chose de grave, d’inédit et de difficilement concevable advenait.  
 
Ce n’est certainement pas le dernier : qui aurait pu croire que le bête masque chirurgical deviendrait la denrée la plus jalousée de l’hôpital ? Que les antiques Packard Bell du service allaient bientôt être soumis au grand bond en avant de la téléconsultation ? Que les équipes soignantes, lessivées et en colère après des mois de grèves pas très fructueux, allait de ressaisir comme des Avengers prêt à en découdre pour sauver le monde?
 
 
 

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