
© Midjourney x What's up Doc
Vili Beros, désormais ex-ministre de la Santé, a été arrêté le 15 novembre, soupçonné de trafic d'influence. Ont également été interpelés avec lui un neurochirurgien réputé, qui travaillait dans un hôpital public et dans trois cliniques privées appartenant à sa famille, des hommes d'affaires et des professionnels de santé. Ils auraient, d'une façon ou d'une autre, participé à ou laissé faire la vente de microscopes à des prix largement supérieurs à ceux du marché à plusieurs hôpitaux, aux dépens du budget de l'État.
L'affaire a ravivé la colère de milliers de patients croates et illustré les conséquences d'un système qui permet aux médecins de pratiquer dans le public et dans le privé en même temps - le plus souvent au détriment du premier.
Pour beaucoup, l'affaire qui a fait tomber Vili Beros n'est que la partie émergée de l'iceberg. Patients et spécialistes s'accordent pour dénoncer la corruption et l'incurie qui font s'allonger les files d'attentes et sapent toute confiance dans le système de santé.
Nives Badurina, 57 ans, lutte contre un cancer depuis 2019. L'arrestation du ministre l'a rendue furieuse car pour ces gens, dit-elle à l'AFP, « l'argent et le profit comptent plus que les vies humaines ».
Sa radiothérapie a duré trois mois au lieu de cinq semaines, à cause, selon elle, du délabrement des équipements dans les centres publics d'oncologie. « L'emprise du privé, c'est, littéralement, une question de vie ou de mort », lance-t-elle.
Marija, 39 ans, souffre d'un cancer du col de l'utérus. Son traitement, dit-elle, a duré deux fois plus longtemps que prévu. « En fait, ils volent l'argent des plus vulnérables : les malades ».
Ces deux cas ne sont pas isolés, explique Jasna Karacic Zanetti, à la tête d'une association de défense des patients : « Ils doivent souvent faire face à des attentes interminables avant d'avoir un diagnostic, puis de voir un spécialiste. Ce qui peut avoir des effets très concrets sur leur santé ».
« Consternée »
Selon la loi croate, les médecins hospitaliers ont le droit de travailler dans des cliniques privées avec la permission de leur employeur. Plus de 30% d'entre eux le font, selon les chiffres officiels.
Un conflit d'intérêt, pour Mme Karacic Zanetti, qui voit les ressources du public, financé par l'argent de l'État, redirigées vers le privé.
« Les intérêts privés priment », abonde Goranka Juresko, une journaliste spécialisée. « Et notre service public est maintenant au service du privé ».
Concrètement, il n'est pas rare de voir un médecin rediriger ses patients vers la clinique privée dans laquelle il exerce, où ils devront alors payer.
Corruption endémique
Au mois d'août, deux médecins de Zadar, sur la côte croate, ont été accusé de recevoir des patients dans leur clinique privée sur leurs heures de travail normalement dédiées à l'hôpital public qui les emploie - tout en facturant des heures supplémentaires.
La lutte contre la corruption était l'un des critères clés pour l'entrée de la Croatie dans l'Union Européenne en 2013. Mais une décennie plus tard, le phénomène reste endémique.
Selon un sondage paru en 2023, 96% des Croates considèrent la corruption comme un problème massif.
Depuis l'arrivée au pouvoir du parti conservateur HDZ en 2016, plus de 10 ministres ont dû démissionner après des accusations de corruption.
Mais l'arrestation du ministre de la Santé a forcé les politiciens à prendre quelques mesures. Le Premier ministre Andrej Plenkovic a ainsi ordonné un audit du secteur juste après avoir limogé M. Beros. « Nous mettrons en place un mécanisme de contrôle plus puissant », a-t-il promis.
Le scandale a suscité la colère d'une partie des médecins eux-mêmes. Cela « jette une tache sur l'ensemble du système de santé et donne une fausse image des médecins », a regretté l'association des médecins hospitaliers dans un communiqué.
Pour Nives Badurina, il ne faut pas oublier que la majorité des médecins et des infirmières « font parfaitement leur travail et font de leur mieux pour aider les patients en dépit d'un système abîmé". Alors face à ceux qui en profitent, elle est "consternée, furieuse et profondément déçue ».
Avec AFP