
Spécialisée, entre autres, dans le diagnostic et le suivi des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, Elsa Mhanna apprécie que sa spécialité « touche non seulement au corps humain en tant que corps biologique, mais aussi au corps humain en tant qu'existence et identité ». C’est ce qui explique son rapport « très identitaire » avec ses patients.
« J’essaie de me souvenir des détails qu’ils me confient – un livre, une exposition, une actualité – pour en reparler à la consultation suivante. Cela me permet d'évaluer la mémoire, le langage et la compréhension d'une manière plus simple qu’avec des tests et sans mettre le patient en difficulté ».
Face à une pathologie qui n'a pour l'instant pas de traitement curatif, elle concède parfois « se poser des questions », notamment quand l’annonce n’est pas entendue, acceptée ou tout simplement retenue par ses patients. À l'inverse, elle observe que certains de ses patients sont « soulagés ». « Une fois que le mot "Alzheimer" est là, la peur, l'anticipation et l'anxiété que génère l’incertitude en amont disparaît. Ces patients attendaient de prendre en main la maladie », affirme-t-elle.
« La vie ne s’arrête pas après l’annonce d’une maladie d’Alzheimer »
Tous les patients qui consultent au centre de mémoire de l’hôpital Leopold Bellan ne sont pas atteints de la maladie d’Alzheimer. Ils viennent pour une plainte de la mémoire, de l'attention, de la concentration ou d'autres fonctions cognitives. C’est là que « l’enquête » de Dre Mhanna débute. « Ce que je trouve passionnant, c’est que c’est comme une énigme à résoudre. On cherche des signes et des symptômes pour essayer de deviner où est la lésion. Si je devais faire une analogie, ce serait comme le jeu de société Unlock!, dans lequel il faut ajouter des indices pour construire une histoire », explique-t-elle.
Une fois la pathologie trouvée, la médecin propose une prise en charge, médicamenteuse ou pas, et surtout « holistique ». « C'est l'entièreté du patient qu'on prend charge dans ces maladies-là, le symptôme mais aussi tout ce qui vient autour, de l'autonomie à la santé mentale ». Elsa Mhanna insiste d'ailleurs auprès de ses patients pour « qu’ils continuent à vivre » en leur donnant des « clefs » pour ce faire.
« Pour moi, la satisfaction n'est pas tant de guérir, même si je le souhaite, mais d'accompagner ». Selon elle, le stéréotype qui colle à la neurologie de diagnostiquer des cas très complexes sans être capable de proposer un traitement curatif, ne correspond plus à la « réalité ». « Dans certaines sur-spécialités de la neurologie, on arrive à traiter, à soigner et à bien prendre en charge », insiste la médecin qui participe également à la recherche sur les maladies neuro-dégénératives et les troubles neurologiques fonctionnels.
Une neurologue engagée
En plus de son exercice clinique et de recherche, Dre Elsa Mhanna est secrétaire générale de l’association Donner des Elles à la santé, fondée par des médecins et directrices d’hôpitaux, pour lutter contre les inégalités professionnelles femmes-hommes ainsi que contre les violences sexistes et sexuelles. La jeune médecin est aussi très impliquée dans la Société française de neurologie, pour qui elle a, entre autres, produit une réflexion éthique sur la fin de vie. « Mon rapport à la mort a changé depuis ce travail. Je me suis rendue compte que j’étais dans le moule de médecine contemporaine, très technique, qui ne veut pas voir la mort en face. Mais aujourd’hui, j’ose en parler avec mes patients ! ».
Avec autant d’activités, comment respecter un bon équilibre entre la vie professionnelle et personnelle ? Dre Mhanna a trouvé la solution il y a peu avec ce mantra : « Pas de boulot ni d’asso après 19h ! » Elle ne s’autorise à travailler sur ses différents projets le week-end, uniquement quand elle est de garde. Et lorsque tout cela devient trop envahissant, Elsa Mhanna s’enfuit dans la nature pour « couper » en faisant de l’astrophotographie. « Randonner puis attendre des dizaines de minutes pour prendre une photo s’apparente à de la méditation. C’est quelque chose qui est hors du temps, qui change de la temporalité de notre exercice clinique qui va à cent à l'heure ». Car même pour une neurologue passionnée, il faut parfois sortir du cerveau pour mieux y revenir !