Des praticiens hospitaliers suspendus... au dessus d'un vide juridique

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Deux syndicats de praticiens hospitaliers s'indignent de suspensions abusives décidées par des directeurs d'hôpitaux. Des procédures contre lesquelles il n'existe pas de recours juridique.

Des praticiens hospitaliers suspendus... au dessus d'un vide juridique

Action praticiens hôpital (APH) et Jeunes médecins (JM) alertent à propos de suspensions abusives de praticiens hospitaliers. À la Réunion, à Brest, à Voiron, Saint-Malo ou Bordeaux, les situations se suivent et se ressemblent, selon les deux syndicats, où des professionnels sont suspendus de leur fonction, avec salaire de base maintenu mais sans justification valable.

« À La Réunion, cette procédure est devenue un sport habituel, le DG ne prenant même plus la peine de fournir un motif vraisemblable de suspension, » précise le communiqué commun. « La possibilité de suspendre un praticien a toujours existé, observe Renaud Péquignot, gériatre et vice président d’APH. Mais c’était réservé jusqu’à présent à des situations de trouble à l’ordre public ou de mise en danger. Depuis 2017, on a l’impression que les directeurs se sont mis d’accord pour faire fleurir les suspensions sur les fortes têtes. Car ces procédures concernent généralement des confrères qui s’opposent aux GHT, qui manifestent pour ne pas devenir des nomades du soin, qui organisent des mouvements sociaux ou alertent contre des dérives des gestionnaires hospitaliers. »

Des situations humiliantes

Les conséquences pour les professionnels sont d’importance. « Ces suspensions entrainent une stigmatisation, une perte de revenus qui peut aller d’un quart à un tiers de ce que gagne un PH en incluant ses gardes, ainsi qu’un risque de perte de savoir-faire », observe Renaud Péquignot.
Car aucun texte ne limite la suspension dans le temps…

Il n’existe pas non plus de recours juridique pour « contrer » une suspension. « Ce n’est pas une sanction, car le salaire est maintenu, explique Renaud Péquignot. L’Ordre ne peut qu’enquêter et constater qu’il n’y a pas de faute de la part du praticien, mais il n’a pas autorité sur les directeurs d’hôpitaux. » Ultime recours : les procédures au pénal contre les directions d’établissement pour harcèlement. Mais lorsqu’elles aboutissent, souvent le mal est déjà fait, et certains praticiens refusent de retourner travailler dans un établissement où leur image a parfois été ternie par l’affaire. « Un collègue anesthésiste à Voiron a même fini par quitter la profession, raconte Renaud Péquignot. Il avait été accusé d’attouchements sur une patiente. Après un référé, il avait été réintégré, puis re-suspendu le lendemain même de son retour. Il a fini par l’emporter au pénal sur le fond, mais c’était trop tard. Il a quitté l’hôpital et s’est reconverti dans l’ingénierie. »

La loi doit être aménagée

À l’heure où l’hôpital manque de moyens, les syndicats rapportent avoir connaissance de plusieurs dizaines de cas similaires. « On supprime l’activité tout en continuant à payer un salaire, écrivent-ils dans leur communiqué. Les cotisants de la Sécurité sociale n’ont pas à payer pour le bon plaisir de quelques directeurs d’établissement déviants qui préfèrent museler des lanceurs d’alerte que de laisser les médecins à la disposition des patients. » Sur chaque situation signalée, l'APH  s'évertue à alerter les ARS, le ministère et le médiateur national dans le cadre de la stratégie nationale d'amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé, Edouard Couty, pour infléchir les décisions des directeurs d'hôpitaux concernés.

Aujourd'hui, les syndicats demandent donc, alors que la loi de Santé est sur le point d’être présentée au Parlement, que celle-ci soit amendée. Ils souhaitent que les suspensions soient « limitées à trois mois si aucune procédure n’est initiée (conseil de discipline, insuffisance professionnelle ou procédure pénale) pour brider la durée des suspensions arbitraires ». Et que « les responsables d’une suspension abusive soient sanctionnés pour abus de pouvoir ».

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