Cinquante ans de la loi Veil : « Le débat devrait être réouvert sur la clause de conscience spécifique à laquelle ont droit les médecins »

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À l'occasion des 50 ans de la loi Veil, découvrez le témoignage de Dominique Joseph, ancienne patronne de la Mutualité Française. Elle nous raconte le rôle qu'ont joué les mutuelles dans la garantie d'accès à l'IVG. Retour sur un combat qui ne cessera jamais, « il faut toujours rester vigilant ».

Cinquante ans de la loi Veil : « Le débat devrait être réouvert sur la clause de conscience spécifique à laquelle ont droit les médecins »

© FNMF/A. LAURIN.

Il y a cinquante ans, le 17 janvier 1975, la loi Veil était votée. La fin d’un combat semé d’embuches pour Simone Veil, Gisèle Halimi, les associations féministes et les femmes dans leur globalité. Mais le début d’un autre : conserver ce droit à tout prix. 

Retour sur le rôle des mutuelles et un combat féministe inépuisable, avec Dominique Joseph, défenseuse du droit à l’avortement de la première heure, ex secrétaire générale de la Mutualité Française et présidente du réseau MutElles.

« Je pense que les mutuelles ont quelque part poussé, fait accélérer les choses »

Très rapidement après le vote de la loi Veil, les mutuelles ont pris la décision de rembourser les IVG. Dominique Joseph explique que c’était un choix presque logique. « La mutualité a toujours eu un côté féministe. À défaut d’avoir beaucoup de femmes dans nos rangs à l‘époque, nous avons eu quelques ‘grands hommes’ qui ont été engagés sur l’égalité femmes-hommes et sur le droit des femmes. » En 1968 déjà, les mutuelles prenaient en charge la contraception. « C’était normal de prendre en charge l’avortement au même titre que la contraception. »

Dominique Joseph le précise, il a fallu attendre 1983 pour que l’Assurance Maladie participe au remboursement de l’IVG. « Pour leur défense, il y a tout un tas de protocoles pour que la Sécu prenne en charge de nouveaux actes. Mais, entre nous, cela a été un peu long. Je le dis avec une pointe de cynisme. Je pense que les mutuelles ont quelque part poussé, fait accélérer les choses. »

« Le problème arrive lorsque les convictions empiètent sur le droit de chacun à disposer de son corps »

Un des obstacles auquel s’était confrontée Simone Veil : « ce sont les médecins », selon l’ancienne patronne de la Mutualité. La médecine était majoritairement masculine, « même l’Ordre était contre », ajoute-t-elle. 

Ce qui a fait pencher la balance, c’est la double clause de conscience. Pour rappel, la double clause de conscience est une disposition spécifique permettant aux professionnels de santé de refuser de pratiquer une IVG si cet acte va à l'encontre de leurs convictions personnelles. Elle se compose d'une clause générale de conscience, commune à tous les actes médicaux, et d'une clause spécifique à l'IVG, reconnaissant la sensibilité particulière de cet acte. Cependant, les médecins qui exercent cette clause ont l’obligation d’informer la patiente de leur refus sans la discriminer et de l’orienter vers un confrère ou un établissement capable de réaliser l’IVG. 

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« Aujourd’hui encore, avec les débats sur la fin de vie, les mêmes arguments sont avancés. » Comme pour l’IVG, c’est une question de convictions et de philosophie. « Le problème arrive lorsque les convictions empiètent sur le droit de chacun à disposer de son corps. »

Pour la présidente de MutElles, « le débat devrait être réouvert sur la clause de conscience spécifique parce que justement les mouvements anti choix reprennent de la vigueur. Serait-il possible pour les médecins de considérer l’IVG comme un acté médical ‘banal’ ? D’autant plus depuis l’arrivée de l’avortement médicamenteux. »

« Le droit à disposer de son corps s’apprend le plus tôt possible »

L’inégalité d’accès à l’IVG n’est plus à prouver. « Le baromètre du planning familial est très instructif. On y apprend qu’une femme sur trois est obligée de sortir de son département pour avoir recours à un avortement, par exemple. » La pénurie de médecin est aussi un sujet. « Comment on fait si le peu de professionnels de santé autour de nous refusent de pratiquer un IVG ? Certaines femmes doivent parcourir 50 à 100 km. Ça ne les empêche pas d’y avoir recours mais ça complique l’accès, autant financièrement que logistiquement. C’est un vrai parcours du combattant, même si je déteste devoir employer ce terme », déplore Dominique Joseph.

Pour consolider le droit à l’IVG et faire honneur à la loi Veil, Dominique Joseph insiste sur deux points : la formation et l’information.

« La formation des professionnels de santé, pas uniquement des médecins. » Bien qu’elle rappelle qu’encore aujourd’hui, certains soignants se permettent de faire écouter le cœur du fœtus aux femmes venues pour avorter, sans leur consentement : « ce n’est pas dans le protocole, qui est très normé. Il y a une intention bien précise derrière ce geste. » La formation, c’est aussi une question de moyens selon elle. 

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En ce qui concerne l’information, l’ancienne secrétaire générale de la Mutualité affirme qu’il faut sensibiliser, encore et toujours. L’avortement c’est disposer de son corps, faire ses propres choix, s’écouter. Ce « droit à disposer de son corps s’apprend le plus tôt possible », précise-t-elle, via l’apprentissage du consentement notamment.

Dominique Joseph insiste sur le fait que le droit à l’avortement sera toujours remis en cause. D’autant plus en ce moment, où les mouvements masculinistes prennent de l’ampleur. Un combat inépuisable mais dont il faut se réjouir, appelant à « une vigilance optimiste. »

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