Christian Le Dorze, Itinéraire d’un médecin entrepreneur de talent

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Christian Le Dorze, cancérologue, radiothérapeute et en même temps super-manager…

Christian Le Dorze, Itinéraire d’un médecin entrepreneur de talent

Ce médecin a en effet exercé plus de 15 ans avant de cofonder Vitalia, désormais le deuxième groupe de cliniques privées français. Entrepreneur audacieux, il revient sur sa carrière exceptionnellement riche et variée…

 

WUD Docteur Le Dorze, vous avez débuté sur les chapeaux de roue! À 28 ans, vous êtes déjà nommé chef de service dans un centre anticancéreux et montez dans le même temps votre premier centre privé. Surprenant, tout de même, racontez-nous…

CLD Effectivement, dès la fin de mon résidanat, j’ai été nommé chef de service à mi-temps au centre anticancéreux de Dijon. J’y travaillais le matin et consacrais mes après-midi à mon exercice en secteur libéral. 7 ans plus tard, nous montions avec mes associés un deuxième centre privé à Chalon-sur-Saône.

Cela peut paraître curieux, mais l’époque permettait aussi des ascensions rapides à qui savait les saisir!

 

WUD Des structures bien particulières puisque, pour la première fois en 1979, la « pluridisciplinarité » ou les « réseaux de soins » n’étaient plus des concepts exclusivement publics, n’est-ce pas ?

CLD Si ces notions semblent aujourd’hui indissociables de toute activité médicale, c’était en effet loin d’être le cas à l’époque. Et c’est au sein de nos établissements que les toutes premières consultations pluridisciplinaires dans le privé ont vu le jour. Nous avions également développé un réseau régional de santé en cancérologie.

Le centre lourd de référence se trouvait à Dijon, avec un plateau technique très complet, et le centre de Chalon-sur Saône assurait un relais de proximité.

Une quinzaine de consultations avancées couvraient par ailleurs 6 départements. Cette organisation avec une offre de soins coordonnée et graduée est finalement le fondement de toutes celles que j’ai souhaité mettre en place par la suite.

 

WUD À l’époque, vous travailliez donc à la fois à l’hôpital public et dans un centre privé. Pourquoi alors avoir finalement choisi de vous investir davantage dans le privé ?

CLD Le système hospitalier public, à mes yeux trop rigide, trop lourd et très lent, ne me convenait pas. J’ai rapidement eu l’impression d’être bridé.

Et même sur le plan scientifique, indépendamment du côté entrepreneurial, le centre privé m’offrait plus de possibilités et j’avais même paradoxalement plus de liberté d’initiative que dans le public.

 

WUD C’est ainsi que vous montrez votre deuxième facette, celle de l’entrepreneur hors du commun qui sommeillait en vous. Où avez-vous acquis toutes les aptitudes nécessaires à la direction d’établissements de santé? Comment avez-vous appréhendé le management, le contrôle budgétaire, les relations humaines? Au cours d’une formation complémentaire ?

CLD Ah… non… À l’époque ça n’existait d’ailleurs pratiquement pas, vous savez. Je me suis formé sur le terrain. Nous étions dans un domaine, la radiothérapie, nécessitant de lourds investissements personnels qui imposaient de s’en occuper comme un investisseur. Faire tourner et gérer ces structures m’a très vite confronté aux problématiques d’organisation et de gestion, qui me plaisaient beaucoup en fait. Une sorte de révélation finalement.

Mes activités syndicales (SNRO, UNHPC puis FHP) m’ont aussi appris la culture et l’approche plus politique de l’administration, des réglementations et des problématiques de financement. Et concernant les aspects scientifiques et la recherche, ce sont mesactivités à la Société française de cancérologie qui m’y ont formé. Les circonstances ont, en fait, révélé un potentiel et forgé pas à pas ma carrière.

 

WUD En 1993, vous passez le cap et entrez à la Générale de Santé…

CLD Oui, j’ai dû réfléchir au moins 2-3 ans, avant d’accepter l’offre de Daniel Caille, le président fondateur de la Générale de Santé. À l’époque, ce groupe rencontrait une trèsforte résistance des médecins, et c’était un peu franchir le Rubicon que de relever ce défi.

Mais après 15 ans d’exercice médical, j’ai pris la proposition comme un nouveau challenge et j’ai finalement décidé de l’accepter. Je n’ai pas eu à le regretter car ce fut une magnifique expérience durant 13 ans, variée et très formatrice.

J’ai continué d’approfondir mes connaissances à travers mes différentes fonctions dans les domaines du soin, mais aussi de l’environnement au soin tel que les services associés (la maintenance des équipements, l’informatique, la restauration, l’hygiène hospitalière, l’ingénierie…). C’est fondamental !

 

WUD Fort de ces expériences qui vous ont façonné, vous quittez la Générale et cofondez alors Vitalia en 2006. Le groupe a connu une ascension fulgurante, et vous achetez pas moins de 46 cliniques en 18 mois ! On est loin de la radiothérapie là, quand même ! Quelle a été la clé du succès ?

CLD Nous avons créé Vitalia en avril 2006 avec Jean-Baptiste Mortier, alors directeur pour la France du fonds d’investissement Black Stone. Nous avions tous les deux le même projet. Nous avons ainsi pu convaincre ensemble un investisseur sur un projet avec une stratégie médicale et industrielle bien définie.

Nous avons également privilégié un investissement dans les villes moyennes où nous pourrions remplir le rôle « d’hôpital privé » d’intérêt général et assurer par exemple des missions de service public. Par ailleurs, nous avons obtenu qu’aucun dividende ne soit reversé aux actionnaires et que la totalité de nos profits annuels soit réinvestie dans nos établissements, soit en moyenne 30 à 40 millions d’euros par an depuis la création du groupe. Mais ne soyez pas surpris, la performance économique découle de la qualité du projet médical et nous sommes sur un objectif de création de valeur à moyen terme !

 

WUD Travailler avec un fonds d’investissement, c’est délicat quand le business concerne la santé, non ?

CLD Dans la création de Vitalia, comme dans tout projet de santé, ce qui me guide, c’est l’efficience médico-économique. À cela, 2 raisons. L’efficience médicale parce que la chose primordiale que l’on doit à nos patients, c’est la qualité et la sécurité des soins.

Et l’efficience économique parce qu’à travers les cotisations sociales, on consomme la ressource des Français. Chaque euro cotisé doit être utilisé au mieux.

Et, aujourd’hui, à l’heure de la crise où la ressource financière ne cesse de diminuer, si l’on veut que notre système de santé continue d’exister, si l’on veut préserver notre modèle de protection sociale, chaque structure de santé se doit d’être médicalement et économiquement performante.

Cette règle vaut bien entendu tout autant pour le public que pour le privé.

 

WUD Cela ne se fait pas au détriment des patients ?

CLD Bien sûr que non ! Ce concept implique bien évidemment d’être irréprochable sur la qualité ou la sécurité des soins. Qui est le premier juge ? Le patient lui-même ! La meilleure preuve d’une excellente qualité des soins, c’est la satisfaction du patient. Et croyez-moi, si la qualité n’est pas là, la sanction est immédiate, notamment dans le secteur privé. L’efficience médico-économique, c’est l’intérêt de tous : des professionnels de santé, de nos actionnaires, de la Sécurité sociale, du système de santé dans son ensemble… mais surtout des patients !

 

WUD Et que pensez-vous d’une activité qui ne serait pas génératrice de profits ?

CLD Je suis contre la culture des déficits. Un soin coûteux doit être payé à son juste prix et alors il sera rémunérateur. Ce qui me dérange, c’est de payer cher quelque chose qui pourrait être payé moins cher pour une qualité identique. Dans le privé comme dans le public, une bonne organisation médicale et une bonne gestion sont la clé de meilleurs résultats financiers et les hôpitaux publics les moins en déficit sont d’ailleurs également les meilleurs hôpitaux.

 

WUD Docteur Le Dorze, en toute bonne foi, vous semblez n’avoir connu que des succès.

À quelle(s) qualité(s) les attribuez-vous ?

CLD Ah… ça, difficile de répondre soi-même. Il faut sans doute pour plus d’objectivité le demander à ceux qui m’ont côtoyé de près : à mes amis, bien sûr, mais aussi à mes ennemis… et je n’en manque pas !

 

WUD Vous avez un regard philosophe sur vous-même et sur la santé, qui vous a amenéà publier en 1992 Sauvez la Santé*. Dans ce livre, vous livrez votre vision sur notre système de santé. Pourquoi ce message ?

CLD Suite à un événement de vie qui a fait de moi un patient, j’ai décidé de mettre à profit mon expérience de décideur de santé et de patient pour réfléchir sur notre système de santé.

Ce livre est simplement le résultat de mon observation aussi objective que possible, pour proposer des solutions aux problèmes du privé comme du public : formation et évaluation des médecins, pertinence des soins et des séjours, amélioration des process et de la sécurité des soins, évaluation des pratiques et des organisations, régionalisation, gouvernance des hôpitaux… tout y est abordé sans tabou, pour un message porteur d’espoir. Car le constat est là : notre système de santé va mal, mais il n’est pas trop tard pour le sauver. À nous de nous en rendre compte pour le soigner plutôt que de le regretter.

 

Curriculum Vitae

1951 Naissance à Phnom Penh.

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1975 Docteur en médecine à la faculté de Dijon.

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1975-1979 Résidanat en radiothérapie et oncologie médicale au centre anticancéreux de Dijon.

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1979-1986 Chef de service du centre anticancéreux de Dijon.

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1979 Création du centre de cancérologie privé à Dijon.

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1981-1991 Président du Syndicat national des radiothérapeutes et oncologues.

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1981 Membre fondateur de la Société française de cancérologie privée.

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1995-1998 Membre de la Commission nationale du cancer.

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1993 Entrée à la Générale de Santé.

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2000-2004 PDG de la clinique Hartmann à Neuilly-sur-Seine.

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2006 Cofondation de Vitalia, aujourd’hui 2e groupe de santé privé en France (48 cliniques).

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Président du conseil de surveillance de Vitalia depuis janvier 2013.

Membre du comité exécutif de la FHP depuis 2012.

Président de la commission stratégique et économique de la FHP depuis 2012.

Président de la commission des finances de la FHP depuis 2007.

Source:

*Christian Le Dorze, Sauvez la Santé, également les meilleurs hôpitaux. Editions du Cherche-Midi, 1992.

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