Un problème mais quel problème ?

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Selon la pratique et surtout la sensibilité de chaque praticien, les rapports professionnels des médecins avec l'industrie peuvent être très différents. Entre indifférence et collaboration, il n'en existe pas moins une trame de fond commune à tous.

Un problème mais quel problème ?

FORMATION SPONSORISÉE ?
Congrès, staffs médicaux, soirées de formation, visites médicales, sont autant d’occasions de rencontres entre médecins en formation et industrie. « Mes contacts avec l’industrie, c’était surtout quand j’étais externe et interne à l’hôpital : les visiteurs médicaux, les staffs… » se souvient Émilie Couderc, médecin généraliste à Perthes- en-Gâtinais (77). Delphine Borchiellini, quant à elle, oncologue au centre de lutte contre le cancer Antoine- Lacassagne, à Nice, continue de côtoyer régulièrement le monde de l'industrie et met en garde simplement ses propres internes : « il faut rester très rigoureux sur les indications thérapeutiques, et il ne faut pas que les labos interfèrent avec votre activité ».

En même temps, la contribution de l'industrie paraît essentielle à la plupart : « je suis consciente que le CNGE [Collège national des généralistes enseignants], par exemple ne pourrait pas s’en sortir sans les labos » estime Émilie. « Jusqu’en 2013, les labos pouvaient financer des travaux, par le biais d’associations dans les services universitaires. Maintenant que c’est interdit, les fonds ne permettent plus d’envoyer des internes à l’étranger, d’acheter du matériel, des livres ou des abonnements à des revues scientifiques » explique Didier Legeais, urologue libéral à Grenoble.

La formation médicale continue se décline sous diverses formes, desquelles l'industrie n'est jamais très loin, et pour cause : elles coûtent cher. Les soirées de FMC « sont essentielles pour le maintien d’un réseau local entre les médecins de ville » ajoute Didier. Comme chacun sait, dans ces soirées, ce ne sont pas les labos qui présentent leurs produits, mais des experts dont les topos sont censés être indépendants et parfois sans rapport même avec l'industrie sponsor. Aux congrès médicaux aussi, l'omniprésence de l'industrie est caractéristique. Mais, n'en déplaise, sans elle, les congrès auraient-ils encore une existence comme s'interroge Sébastien Couraud, jeune universitaire en pneumo-onco aux Hospices Civils de Lyon. « Dans les congrès on reçoit une vraie information scientifique. Elle est orientée, certes, mais elle est indépendante. C’est une rencontre win-win pour tout le monde ».

DÉMARCHAGES INTENSIFS (EXCESSIFS ?)
Véritables ponts et messagers entre labos et médecins, présents dans le quotidien de tous, par téléphone, dans les bureaux ou la salle d’attente, ils sont parfois attendus, parfois mal reçus, voire pas reçus du tout ! Les rapports des jeunes médecins avec les représentants de l'industrie ont changé. On rapporte aujourd'hui parfois une forme d'évitement de leur part. L'argument qu'on entend assez souvent est le manque de temps des médecins, mais ce n'est pas le seul. « Je ne reçois aucun visiteur médical, parce que je n’ai pas le temps. Enfin, surtout parce que je n’ai pas envie. Ils ne sont pas objectifs, ils ne montrent que ce qu’ils veulent et moi, je ne suis pas assez calée en stats pour lire entre les lignes », reconnaît Émilie.  L'impression de se faire piéger est ce qui ressort le plus des témoignages de cette enquête. Cette barrière, c'est aussi pour d'autres la volonté de marquer une forme de neutralité dans l'exercice de leur métier. « Je ne reçois jamais les visiteurs médicaux entre deux rendez-vous de patients. Et je ne donne pas d’outils offerts par l'industrie, mais ceux que nous développons dans le service » souligne Delphine.

ORDONNANCE SOUS INFLUENCE
Prescrire un produit, un examen répond bien sûr aux règles de suivi des recommandations médicales. Seulement quand il n'y en a pas ou quand deux produits sont équivalents, la tentation est grande pour les uns et les autres. « J’essaye de trouver des informations là où je pense qu’elles sont à peu près justes, même s’il paraît qu’on est de toute façon influencé malgré soi… » témoigne Émilie.

Pour Delphine la prescription peut être orientée par une vision plus globale du système. « Quand il y a plusieurs médicaments similaires, je prescris de préférence la molécule princeps parce que je considère que son développement a coûté de l’argent et apporté une innovation, alors que les autres n’ont fait que la copier.  Et je privilégie aussi les labos qui font des formations aux internes ou de la recherche, qui réinvestissent leurs bénéfices dans des choses utiles ». Une prescription très "commerce équitable" qui pourrait être une clé de réconciliation des couples médecins/déontologie et labos/commerce ?

ET POURTANT, UN PARTENAIRE INDISPENSABLE
La recherche est probablement l'un des domaines  où nous pouvons le moins nous passer de l’industrie. Pour Sébastien, la diabolisation des labos n’a pas  de sens. « Il faut garder une attitude modérée :  ce sont nos partenaires dans la recherche médicale, ils sont acteurs de développement, ils participent aux programmes d'innovations, ils ont les fonds, la méthodologie, les dispositifs ou les molécules et nous, nous avons les patients ». Certaines spécialités ont des rapports plus étroits que d’autres. « En oncologie, nous dépendons beaucoup de l’industrie pour le développement de nouveaux traitements et les essais thérapeutiques », explique Delphine.

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