Soin en partage : quand l’herbe est plus verte ailleurs

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Le partage des tâches en santé, c’est un peu comme la cuisine : chaque pays a sa propre manière de faire. De quoi relativiser la tendance qu’ont certains médecins, en France, à estimer que rien ne peut évoluer en la matière. La preuve par quatre.

 

Soin en partage : quand l’herbe est plus verte ailleurs

La Suisse, pays du pharmacien algorithmique

Jean-Boris von Rotten est pharmacien à Fully, dans le canton du Valais, en Suisse. Mais s’imaginer que son métier est identique à celui de ses confrères français serait une erreur : les patients qui entrent dans l’une des trois pharmacies qu’il dirige peuvent certes, comme chez nous, y acheter des médicaments, mais ils peuvent aussi y bénéficier d’une consultation effectuée par un pharmacien disposant d’une formation complémentaire en anamnèse, et ressortir avec des médicaments habituellement soumis à une prescription médicale. Les pharmacies von Rotten font en effet partie du programme NetCare, qui fournit à ses adhérents des algorithmes leur permettant de prendre en charge seuls des affections simples comme la cystite, la conjonctivite, l’angine, l’acné…

« Il y a environ 25 algorithmes, explique Jean-Boris. C’est très attractif, parce que nous avons tous les jours des demandes concernant les maladies courantes, et nous avons désormais un outil reproductible pour les traiter. » Mieux : grâce au projet NetCare, c’est le statut du pharmacien en Suisse qui a changé. « En 2018, une nouvelle loi a donné une nouvelle mission au pharmacien, en stipulant qu’il devait être formé à la prise en charge des maladies courantes, se félicite le soignant helvète. Ça paraît banal, mais ça change le paradigme de notre profession. »

 

Au Québec, vive la kiné libre !

Vous ne verrez jamais un médecin québécois prescrire de la kinésithérapie à ses patients : les soignants que nous appelons en France « masseurs-kinésithérapeutes » se nomment, de l’autre côté de l’Atlantique, « physiothérapeutes ». Mais quel que soit le nom qu’on donne à ces soignants, ils se retrouvent de toute façon moins souvent sur les ordonnances des médecins québécois que sur celles de leurs homologues français. Pour une raison simple : il s’agit dans la Belle Province de professionnels de premier recours. Dans bien des cas, les patients n’ont donc pas besoin d’une prescription pour recourir à leurs services. Chloé, kiné française vivant au Canada depuis 2 ans, l’a appris à ses dépens : à son arrivée, elle s’est vu signifier que pour exercer son métier auprès des patients québécois, il fallait qu’elle entreprenne une formation complémentaire de… 2 ans.

« Les physiothérapeutes sont, dès le début de leurs études, formés à des choses comme la lecture critique d’article scientifique », explique la Française. Elle dit comprendre que, même si le cursus hexagonal de kinésithérapie a récemment été modifié, les Québécois exigent que les professionnels venus de notre pays se mettent à niveau pour pouvoir effectuer un diagnostic en toute autonomie. Malheureusement, ce sera sans Chloé : celle-ci ne peut pas se permettre de consacrer 2 années supplémentaires à des études. D’ailleurs, son visa ne l’y autorise pas. La jeune femme a donc choisi de s’orienter vers la massothérapie, une profession qui se concentre sur le bien-être plutôt que sur la santé.

 

Les infirmiers britanniques en mode autonomie

Il ne faut pas croire que le métier d’infirmier s’exerce de la même manière partout. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil de l’autre côté de la Manche, où la profession jouit de bien plus d’autonomie qu’en France. Illustration avec la vaccination. Chez nous, seule la vaccination antigrippale peut être réalisée sans prescription médicale par les émules de Florence Nightingale. Au pays d’Élisabeth II, au contraire, l’ensemble du programme de vaccination pédiatrique est une responsabilité infirmière.

« C’est vrai qu’au Royaume-Uni les infirmiers sont plus autonomes qu’ailleurs, nous sommes plus avancés sur ce terrain-là », constate Amrit Purba, infirmière et doctorante en santé publique à la MRC/CSO Social and Public Health Sciences Unit de l’université de Glasgow. Mais selon elle, ce n’est pas une raison pour s’arrêter en si bon chemin. La chercheuse a même publié l’année dernière dans le Nursing Times un article1 plaidant pour un accroissement des responsabilités infirmières à l’aune de la crise de Covid. Elle y estimait notamment que le rôle de sa profession devait devenir aussi important dans les maladies infectieuses que dans les maladies chroniques, sur lesquelles il a eu tendance à se focaliser jusqu’ici. Et elle y développait un solide argumentaire pour un meilleur recours aux infirmiers afin de subvenir aux besoins de santé des populations les plus vulnérables.

 

Le physician assistant, objet soignant non identifié venu des États-Unis

Souvenez-vous. À l’automne dernier, le Gouvernement français unissait contre lui une bonne partie du corps médical en proposant de créer une profession médicale intermédiaire, à mi-chemin entre l’infirmier et le médecin. Une polémique qui aurait semblé très incongrue à un observateur venu des États-Unis, où il existe non pas une, mais deux professions de ce type : les nurse practitioners et les physician assistants, métiers qui nécessitent entre 6 et 8 ans d’études et qui permettent, en toute autonomie, la prise en charge de bien des problèmes de santé demeurant chez nous l’apanage des médecins.

Ces métiers semblent d’ailleurs jouir d’une forte attractivité, du moins si l’on en croit Stephen Pasquini, physician assistant (on dit « PA ») californien qui tient un site très complet sur sa profession2, dont il ne changerait pour rien au monde. Traiter une otite, recoudre une plaie, réparer une fracture, et surtout « être là quand un autre humain a besoin de quelqu’un sur qui se reposer »… autant de choses qu’un PA peut, selon lui, faire aussi bien qu’un médecin, tout en conservant un équilibre entre vie professionnelle et vie privée bien plus adapté. Et le plus beau, ajoute-t-il, c’est que les PA disposent d’une liberté que n’ont pas les médecins. « Une fois diplômés, les médecins ne peuvent pas changer de spécialité. Les PA, eux, n’ont qu’à candidater pour un poste, et ils seront formés sur le terrain pour une mise à niveau dans la spécialité désirée. »

 

 

Source:

  1. Purba AK (2020), How should the role of the nurse change in response to Covid-19? Nursing Times [online]; 116: 6, 25-28t
  2. www.thepalife.com

 

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