Quand les psychiatres deviennent un algorithme à la « Her »

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Jean-Victor Blanc est médecin psychiatre à l’hôpital Saint Antoine (Paris). Retrouvez chaque semaine sa lecture de la pandémie Covid 19, entre urgences sanitaires et références pop culture.

Quand les psychiatres deviennent un algorithme à la « Her »

Depuis le 16 Mars, l’essentiel des consultations se fait à distance. Initialement, nous devions être doté de matériel de téléconsultation (soit une webcam et un micro) ad hoc ? Cet espoir semble aujourd’hui s’être évanoui de nos esprits, comme la saveur d’un café en terrasse.
C’est donc muni d’un téléphone fixe, digne des meilleures scènes de « Scream » que nous suivons les patients. Avant le Covid-19, le coup de fil aux patients était la plupart du temps non planifié, fonctionnel, ou réservé au monitorage d’une décompensation entre deux rendez-vous.
 

We are on the same boat

Dans le service de psychiatrie, nous avons donc pris le combiné pour appeler tout feu, tout flamme les patients déjà suivis. La première vague d’appel était principalement centrée sur la réassurance. Enfin, dans la mesure du possible, puisque la pandémie a pris tout le monde au dépourvu. Ayant les mêmes informations que les patients, voire moins (comme cette patiente qui a eu la gentillesse de m’envoyer les conclusions d’un rapport gouvernemental paru dans la nuit en guise d’update), c’est à tâtons que la « réassurance » peut se faire. L’image qui me vient en tête est celle de Popeye, s’improvisant guide de montagne de ses Bronzés faisant du ski, confiant en apparence mais sans avoir la moindre idée d’où cela va les mener.
 
   

I Just Call To Say I Love You

Au téléphone, on s’assure que les consignes de confinement soient bien assimilées. Pour la plupart des patients, infusés de news anxiogènes, l’inquiétude semble réciproque de l’autre coté du téléphone. « Et vous surtout Docteur, comment allez vous ? Ca se passe comment dans le service ? Et à l’hôpital ? » Je trouve l’attitude et la reconnaissance des patients assez extraordinaire, avec leurs ressources surprenantes. Au delà des « affaires courantes », le renouvellement d’ordonnances et conseils d’hygiène de vie pour supporter cette mise sous cloche, la consultation téléphonique a aussi ses quelques « moments de grâce ».
 

« Devine d’où je t’appelle ? »

Publicité que les millenials ne peuvent pas comprendre, le fameux « Devine d’où je t’appelle » qui vantait la portabilité nouvelle de l’ancêtre de l’iPhone semble résonner à chaque entretien. Posté devant le téléphone fixe pour ne pas rater l’appel, calé entre deux téléconférences Zoom business, ou en plein jogging version étourdi, le decorum de la téléconsultation vient l’enrichir. Voir devient un matériel pour la thérapie, comme cette patiente qui doit expliquer la recherche d’une intimité parmi sa colocation de fortune, ou le retour dans la chambre d’ado du domicile parental d’un jeune cadre dynamique parisien.
 

Hi, I’m Samantha

Contrairement à l’idée reçue, consulter par téléphone demande plus d’énergie. Essayer de se représenter l’état émotionnel du patient sans la gestuelle et le visage, y répondre sans les respirations et temps de silence qui ponctue l’entretien n’est pas évident. Il faut communiquer au mieux son empathie, insuffler du courage à travers le combiné, seul dans un box de consultation. À mesure que les consultations s’enchainent, que la perspective du « Monde d’après » sans retour à consultation IRL (In Real Life) se précise, la relation thérapeutique prend une autre tournure. Avec parfois, à la fin de 8 heures d’échange téléphonique, l’étrange sensation de devenir une sorte d’algorithme virtuel comme dans le film « Her », la voix sensuelle de Scarlett Johansson en moins.
 

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