Pr Grégoire Boulouis : « Un nouveau plan national AVC pourrait permettre d’éviter jusqu’à 8 accidents sur 10 »

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Dans son récent rapport sur la prise en charge des AVC, la Cour des comptes appelle à relancer un grand plan national pour lutter contre les faiblesses persistantes dans l’organisations des soins. On en discute avec le Pr Gégroire Boulouis, neuroradiologue au CHU de Tours et vice-président de la Société française de neuroradiologie (SFNR). 

 

Pr Grégoire Boulouis : « Un nouveau plan national AVC pourrait permettre d’éviter jusqu’à 8 accidents sur 10 »

© DR / iStock 

120 000 personnes en sont victimes chaque année en France (2022), et un quart d’entre elles en décèdent dans les heures ou jours qui suivent. L’AVC constitue la première cause de mortalité chez la femme (la deuxième chez l’homme) et la première cause de handicap moteur acquis de l’adulte. Au total, 800 000 à un million de personnes vivent aujourd’hui avec des séquelles.

Dans son rapport publié le 29 octobre, la Cour des comptes rappelle que la prise en charge des AVC a beaucoup progressé en vingt ans, mais que le système souffre toujours d’un manque de pilotage, d’inégalités d’accès aux soins d’urgence et de réadaptation, ainsi que d’une rupture du continuum de soins. 

 

What’s up Doc : Où en est-on de l’AVC en France en 2025 ?

Grégoire Boulouis : Depuis quinze ans, une bonne partie du travail a été accomplie, grâce au plan AVC de 2010-2014 qui a structuré la prise en charge. On peut facilement y implémenter l’innovation, qui a été la thrombolyse (traitement intraveineux pour dissoudre le caillot) puis, plus récemment, la thrombectomie (geste endovasculaire pour retirer le caillot).
Cette dernière s’appuie sur un même réseau de soins : les unités neurovasculaires (UNV). Malgré cela, l’AVC n’est pas suffisamment pris en compte, pour plusieurs raisons, à commencer par la prévention.   

 

« Le risque d’AVC ne fait pas suffisamment partie des raisons qui poussent les gens à modifier leurs habitudes »

 

La Cour des comptes pointe le fait que la prévention des AVC reste « noyée » dans celles des maladies cardiovasculaires. Qu’en pensez-vous ?

GB. : Oui, on évoque moins systématiquement les facteurs de risques spécifiquement liés à l’AVC, que pour d’autres maladies vasculaires. Par exemple, lorsqu’on parle de bouger plus, manger moins gras, salé ou sucré, on pense spontanément à la prévention de l’infarctus du myocarde. Le risque d’AVC ne fait pas suffisamment partie des raisons qui poussent les gens à modifier leurs habitudes, alors que cela devrait être le cas : le risque vasculaire est cumulatif et l’AVC en est une expression majeure. 
C’est donc le rôle des sociétés savantes, en tant que principaux vecteurs de diffusion de l’information auprès des professionnels, de repositionner l’AVC au centre du débat public. Car il représente un coût économique, mais aussi social et humain considérable. Il faut savoir que 80% des AVC sont évitables : une meilleure prévention, une prise en charge rapide sur tout le territoire ainsi qu’un accompagnement renforcé permettraient donc de porter à 25 000 le nombre d’accidents annuels. 

 

Seule la moitié des patients sont hospitalisés en unité neurovasculaire (UNV), contre un objectif initial de 90%. Pourquoi la thrombectomie reste-t-elle si peu accessible ? 

GB. : La thrombectomie est devenue une thérapeutique de première ligne en 2015. Personne ne pouvait anticiper un tel changement. Très vite, radiologues, neurologues, urgentistes mais aussi responsables politiques – se sont réunis pour définir une stratégie : c’est le comité national thrombectomie. Mais ce sont des filières très complexes à mettre en place. Ouvrir de nouveaux centres, former les équipes, structurer la prise en charge… tout cela demande du temps, ce qui explique en partie les chiffres actuels.
Malgré tout, la neuroradiologie interventionnelle a beaucoup développé ses capacités. De nombreux centres ont ouvert, et le pool de neuroradiologues a bondi de 30%. En dix ans, c’est énorme. De manière générale – et c’est ce que préconise la Cour des comptes – le secteur a besoin d’une meilleure coordination à tous les niveaux. Il faut une impulsion nationale pour que les stratégies d’organisation des soins se dessinent au niveau local. 

 

« Neurologues et neuroradiologues travaillent main dans la main pour une prise en charge optimale »

 

De nombreuses victimes d’AVC n’accèdent pas aux soins de réadaptation. Où se situe le blocage ? 

GB. : Effectivement, c’est un point noir. Et là encore, on en revient à l’absence de reconduction du plan national AVC, qui entraîne un manque de coordination et un maillage territorial insuffisant. Les victimes d’AVC ont souvent besoin de rééducation sur des périodes prolongées. Il est donc indispensable de densifier les centres, notamment en multipliant les effectifs de médecine physique et de réadaptation. 

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La neuroradiologie, en particulier interventionnelle, semble se développer fortement. Faut-il s’attendre à plus de professionnels dans les années à venir ?

GB. : De manière générale, la radiologie interventionnelle se développe beaucoup, et la neuroradiologie interventionnelle – donc les opérateurs de thrombectomie mécanique – suit la même dynamique. C’est également vrai pour la neuroradiologie diagnostique, car les indications d’imagerie explosent partout. En neuro, de nouvelles thérapeutiques émergent dans de nombreuses pathologies : maladie d’Alzheimer, épilepsie, sclérose en plaques… Ces patients nécessitent un suivi régulier en imagerie, ce qui demande du temps machine et de l'expertise de la part des spécialistes. 
Contrairement à ce que l’on peut parfois lire sur l'automatisation et l'intelligence artificielle, c’est en réalité un métier plein d'avenir. Les sociétés savantes sont d’ailleurs là pour répondre aux questions sur l’AVC, mais aussi sur la formation des internes et la structuration des filières. Neurologues et neuroradiologues travaillons main dans la main pour une bonne prise en charge de ces patients. 

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