Pour Muriel Dahan « il faut faire évoluer le standard Evidence Based Medecine et mettre en place de nouvelles méthodes d’essais cliniques »

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Muriel Dahan, directrice de la Recherche et du Développement dUnicancer depuis janvier, compte apporter une nouvelle façon de valider les essais cliniques et mettre au cœur du travail de recherche linnovation technologique. Entretien.

Pour Muriel Dahan « il faut faire évoluer le standard Evidence Based Medecine et mettre en place de nouvelles méthodes d’essais cliniques »

Muriel Dahan, est directrice de la Recherche et du Développement dUnicancer depuis janvier. 

What's up doc : Que représentent pour vous ces nouvelles fonctions ?

Muriel Dahan : C’est une belle consécration. Il s’agit de diriger une équipe de plus de 150 personnes. Nous avons 115 essais en cours dont nous sommes les promoteurs. Ce sont des essais d’initiatives industrielles, et des essais de santé publique que les industries ne veulent pas forcément mettre en place.

Quelles raisons vous ont poussée à accepter ce poste ?

M. D : Avec mon parcours, il y avait une vraie cohérence à le faire : pharmacienne de formation, j’ai occupé les fonctions de professionnelle de terrain, puis siégé dans les instances ministérielles, travaillé dans une agence liée à l'Institut national du cancer et piloté un certain nombre de projets, sans oublier mon implication dans la cancéro.  Avec un diplôme de pharmacoépidémiologie, il était assez cohérent de poursuivre ma carrière avec ce poste.

Ce poste est-il une consécration ? Ou est-ce complètement différent ?

M. D : Et bien, ce sont les deux. C’est une très belle opportunité que je suis très fière d’avoir acceptée. C’est de la cancérologie, c’est scientifique.  Mais c’est aussi stratégique et c’est aussi du management. Cela prend en compte toute l’expérience que j’ai pu accumuler durant ces années. C’est une poursuite en cohérence avec ce que j’ai fait précédemment. C’est très bien.

« Nous apprenons que lEvidence Based Medecine est basée sur des essais cliniques randomisés en double aveugle avant AMM sur des objectifs décidés par le labo en fonction de ses propres besoins commerciaux. Cette vision-là, grand standard de la commission de la transparence, aujourd’hui, il faut la faire évoluer »

Dans quelle mesure votre travail à l’IGAS est un atout pour ce poste ?

M. D : Bien sûr, à l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales), j’occupais une fonction très transversale. On nous y apprend à être très agiles, à aller au fond des questions posées pour les explorer dans toutes leurs dimensions, et avoir une vision qui combine à la fois le terrain, le politique, la faisabilité, la pratique, qui permette de faire des propositions le plus en adéquation avec ce qu’il est possible d’envisager. L’IGAS, ce sont des missions conduites avec l’objectif d’aller au bout des questions posées. Grâce à ce poste, j’ai aussi eu l’opportunité de conduire des grands projets comme la politique des génériques. J’ai été personnalité qualifiée pour le conseil stratégique d’industries de santé. Ce sont toutes ces expériences qui me permettent d’avoir une connaissance transversale sur un grand nombre de sujets, de pouvoir relier les questions de data,  numérique, formation, recherche, les problèmes de délais administratifs, et d’attractivité du territoire. Toutes ces questions-là, je les ai étudiées dans un but très opérationnel. Cela permet d’avoir une vision transversale de tout ce qui peut être intéressant, et améliorer ce rôle de direction de la recherche d’Unicancer.

Quelles orientations ou évolutions comptez-vous donner aux recherches futures ?

M. D : Il y a vraiment une organisation très importante, avec un niveau d’excellence, des équipes bien organisées qui donnent entière satisfaction à nos partenaires. Elles sont reconnues pour leur excellence. Il est donc hors de question que je bouleverse quoi que ce soit à ce niveau. Maintenant il y a la possibilité d’aller chercher des programmes au niveau international, européen. Il va falloir travailler de plus en plus avec la direction data et partenariat de façon à intégrer les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, la possibilité de faire des bras numériques, de mettre en place de nouvelles méthodes d’essais cliniques avec des études in silico, des études en vie réelle sur un mode essai adaptatif.

C’est ce que nous avons proposé à la suite du conseil stratégique des industries de santé, et qui a été adopté dans le plan Innovation Santé 2030. Cela a donné lieu à la saisine de la HAS afin qu’elle se prononce sur des nouvelles méthodes d’essais cliniques.

Depuis 50 ans, nous apprenons que lEvidence Base Medecine est basée sur des essais cliniques randomisés en double aveugle avant AMM sur des objectifs décidés par le labo en fonction de ses propres besoins commerciaux. Cette vision-là, grand standard de la commission de la transparence, aujourd’hui, il faut la faire évoluer pour y intégrer tout ce que les évolutions scientifiques et les nouvelles technologies nous apportent, afin de coller beaucoup plus à la réalité du terrain. Les études réalisées postérieurement ne sont pas reconnues, alors que nous avons des méthodes de plus en plus robustes qui peuvent s’additionner les unes aux autres afin de connaitre l’utilité d’un produit, d’une nouvelle technique, faire évoluer nos connaissances scientifiques, pratiques, nos protocoles thérapeutiques et trouver la meilleure place pour les innovations. Quels que soient les domaines : diagnostic, thérapeutique, biomoléculaire pour mieux cibler les traitements, chirurgie.
Mieux comprendre et ne plus avoir cette vue unique de l’essai randomisé double aveugle. On ne peut plus raisonner comme cela. La place des patients est aujourd’hui très importante. Si nos spécialistes, ceux des CHU, ceux des autres centres nous disent qu’il y a une possibilité de traiter un cancer avec telle ou telle molécule, il faut faire évoluer le traitement en fonction des connaissances et de ce qui est constaté en vie réelle. Nous ne pouvons pas continuer à considérer qu’il n’existe qu’une voie théorique possible, et non pratique pour reconnaître une innovation thérapeutique.

Il faut intégrer l’ambulatoire, le patient. On intègre peu aujourd’hui des essais mis en place en ambulatoire, car nous n’avons pas les bonnes méthodes, les gens ne sont pas formés à faire de la recherche quand ils ont des cabinets, des officines, ou des cabinets d’infirmiers. Il est nécessaire de faire monter en charge patients, médecins, et infirmiers afin que tous contribuent à cette meilleure connaissance de terrain en pratique, en vie réelle. C’est comme cela que nous allons faire évoluer les stratégies thérapeutiques et permettre aux patients de mieux vivre leur cancer, surtout de le vaincre.

Vous avez parlé de projets que les industriels ne souhaitent pas faire. Quels sont-ils ?

M. D : Ce sont des projets de santé publique, des essais qui permettent de regarder si l’on peut opérer une désescalade thérapeutique, diminuer les doses, ou utiliser de vielles thérapeutiques. Voir s’il y a de veilles molécules abonnées car jugées sans avenir commercial, mais qui pourraient être retestées en fonction d’hypothèses scientifiques nouvelles. Il est aussi possible d’établir des comparaisons de protocoles thérapeutiques en confrontant une innovation très chère et quelque chose qui ne l’est pas. Cela peut montrer qu’il est inutile d’aller vers telle ou telle innovation coûteuse. Il y a aussi de nouvelles voies possibles en ce qui concerne les personnes âgées et les populations qui ne sont pas habituellement intégrées dans les essais. La pédiatrie, les personnes âgées, les maladies rares sont des domaines délaissés, qu’il faut malgré tout explorer. Nous ne pouvons pas laisser des patients sur le bord de la route.

Aujourd’hui c’est MyPeBS, un grand essai international soutenu par l’Europe. Il vise à adapter les dépistages du cancer du sein en fonction du niveau de risque identifié. 

De tous vos projets, quels sont les plus stimulants du moment ?

M. D : Aujourd’hui c’est MyPeBS, un grand essai international soutenu par l’Europe. Il vise à adapter les dépistages du cancer du sein en fonction du niveau de risque identifié. Ce projet extrêmement ambitieux permettra de changer les pratiques du dépistage.

Il y a aussi tous les essais sur l’immunothérapie où nous montrons à quel point nous pouvons changer complètement le pronostic de certains cancers avec l’identification des cibles moléculaires qui peuvent marcher sur plusieurs types de cancer. Voilà l’avenir. À condition que ces méthodes soient reconnues au niveau national et international. Comme cela sort des standards habituels, les essais sont d’une moins grande puissance. Il y a aussi l’intérêt de l’ADN circulaire.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/lintelligence-artificielle-une-corde-de-plus-larc-du-combat-contre-le-cancer

Votre objectif le plus ambitieux ?

M. D : C’est d’être de plus en plus reconnu surtout au niveau international. Faire en sorte que l’on trouve les meilleurs traitements contre le cancer, de soulager les patients qui en sont atteints, de leur faciliter la vie. Le meilleur cancer est celui que l’on n’attrape pas, donc il y a de la recherche en prévention à développer. Nombreuses sont les pistes encore inexplorées, le cancer de l’enfant, par exemple. Il n’y a pas un seul objectif, tous sont importants, tous construisent un environnement et visent à améliorer le quotidien de centaines et milliers de personnes. C’est notre objectif !

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