
© Midjourney x What's up Doc
Au Centre régional de prévention du suicide (CRPS), à Marseille, ce matin-là, Blandine Gasperi, infirmière des hôpitaux marseillais (AP-HM), prend l'appel d'une collégienne de 14 ans, qui dit « avoir envie de se faire du mal ».
La jeune fille, bipolaire, veut savoir si elle peut augmenter sa dose de Valium (un benzodiazépine). Grâce au conseil d'un médecin référent de la structure, Blandine peut la renseigner.
Cette collégienne avait « déjà appelé le 3114 », lors d'une tentative de suicide, et « comme elle était en crise, elle nous a rappelés. Beaucoup de jeunes nous appellent, ils trouvent le numéro sur les réseaux sociaux, sur internet, sur Chat GPT ».
Le 3114, c'est un numéro national, dédié aux personnes en souffrance avec des idées suicidaires ou leurs proches. En France, on compte 25 suicides par jour en moyenne.
Il est joignable à toute heure du jour et de la nuit, et géré par des soignants, qui peuvent donner des conseils médicaux. Ils ont, contrairement aux associations, une obligation de porter secours. « Dans 10% des cas, on envoie des secours aux personnes », explique le Dr Jean-Marc Henry, psychiatre à l'AP-HM et coordinateur du centre.
A chaque appel, les répondants évaluent le « risque suicidaire » et tentent d'en comprendre les motivations. « Quand on est dans une crise suicidaire », explique Blandine Gasperi, « on est un peu enfermé dans sa bulle et on ne voit pas tout l'entourage et les proches qu'on peut avoir ».
« Sentiment d'urgence »
Sébastien de Frutos, 38 ans, rencontré par l'AFP à Antibes, a souffert dans sa jeunesse de pensées suicidaires récurrentes.
« Il y a un sentiment d'urgence dans le passage à l'acte, on est en panique », raconte cet ingénieur informaticien. Dans ces moments, « trouver l'étincelle de courage qui reste pour aller vers quelqu'un » peut tout changer.
Au CRPS, les répondants poussent les appelants à parler à un collègue, un ami, un médecin. « On essaie aussi d'avoir des infos sur la présence d'un animal de compagnie ou quelque chose qui peut mettre à distance les idées suicidaires ».
A leurs côtés travaillent des « veilleurs » du dispositif VigilanS, dont le rôle est de garder le contact avec les personnes qui sont déjà passées à l'acte.
« Une complémentarité qui fait l'efficacité » du CRPS, pour Jean-Marc Henry, qui met en avant « un partage de culture ».
Ce jour-là, une répondante prend des nouvelles d'une jeune fille de 16 ans suivie par l'association Asma, créée en 2002 à Marseille par un pédiatre urgentiste qui voyait revenir des jeunes multipliant les tentatives de suicide. En conflit avec sa mère, elle a avalé des comprimés « dans l'intention de mourir ».
Diminution de la réitération
Pour les adultes, les veilleurs de VigilanS appellent les personnes qui ont tenté de se suicider dès le dixième jour après leur sortie de l'hôpital, car c'est statistiquement dans le mois qui suit que la réitération est la plus fréquente.
« L'idée c'est de leur faire comprendre que ce n'est pas juste un passage aux urgences avec un numéro, qu'on pense à eux, qu'on est là pour eux », explique Julien Perucca, infirmier et veilleur de VigilanS. Entre deux coups de fil, il écrit aussi des cartes postales aux personnes suivies : « recevoir un courrier écrit pour soi, à la main, ça fait du bien ».
Une étude de Santé publique France a montré une diminution de 38% de la réitération suicidaire à un an chez les gens suivis dans le dispositif, des résultats « très satisfaisants » pour le Dr Henry.
De son côté, Sébastien constate que « les professionnels vont souvent trouver le bon mot, quand les proches parfois sont maladroits ou vous font la morale, ou vous rejettent la culpabilité de votre état ».
D'ailleurs, Blandine Gasperi glisse un conseil pour les proches : « c'est important de ne pas tourner autour du pot, d'être direct : ce n'est pas en parlant de suicide qu'on va pousser les gens à se suicider ».
Avec AFP