Les médecins vont-ils trop vite dans la prescription d’hormones aux mineurs transgenres ?

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Les médecins accèdent-ils trop vite à la demande de certains mineurs de changer de genre ? La controverse est vive, jusque devant la justice, entre des psychanalystes appelant à la "prudence" au nom de l'intérêt de l'enfant, et des associations qui crient en retour à la "transphobie".

Les médecins vont-ils trop vite dans la prescription d’hormones aux mineurs transgenres ?

© IStock 

Il est "crucial d'interroger la demande, supposée être celle de l'enfant, de changer de sexe", plaide l'"Observatoire de la petite sirène", un collectif de psychanalystes, pédopsychiatres et autres psychologues.

Sur son site observatoirepetitesirene.org, ce collectif alerte sur les conséquences "irréversibles" des traitements médicaux, notamment des hormones prescrites pour "bloquer" le développement pubertaire. Et dénonce les "discours idéologiques" et autres "pressions politiques" qu'exerceraient des associations LGBTQI sur les mineurs et leurs familles.

"Il y a une accumulation de témoignages qui nous inquiètent sur le fait que des enfants, embrigadés sur internet, sont poussés vers la transition trop rapidement", explique Caroline Eliacheff, psychanalyste et co-directrice de l'Observatoire de la Petite sirène.

"Les jeunes s'auto-diagnostiquent trans et lorsqu'ils viennent consulter, certains médecins se contentent d'acquiescer", dit-elle à l'AFP.

Des arguments vivement rejetés par les associations de soutien aux personnes trans et LGBT. "Ces gens diffusent en fait un discours clairement transphobe", s'insurge Lucile Jomat, présidente de SOS homophobie.

"Nous ne faisons pas de prosélytisme", répond de son côté Anaïs Perrin-Prevelle, coprésidente de l'association OUTrans. "Ce n'est pas facile d'être trans en France, on ne fait pas ça par plaisir ou pour emmerder ses parents", ajoute cette responsable.

Une vingtaine d'associations ont publié en juillet un contre-argumentaire, sur un site internet dont l'adresse (http://petitesirene.org/) est volontairement proche de l'originale. Elles accusent l'Observatoire de prôner "une approche psychothérapeutique qui soutient la personne dans l'acceptation de son sexe biologique". Ce qui revient, selon elles, à promouvoir des "thérapies de conversion", pourtant interdites.

Un "raccourci simpliste et nauséabond", répond l'Observatoire, qui a porté plainte en diffamation, fin août.

« Certains de ces jeunes sont en sévère dépression. Plus de 30% sont complètement déscolarisés »

Pour la pédopsychiatre Agnès Condat, qui co-anime une consultation spécialisée à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, la transidentité chez les mineurs "pose des questions éthiques sensibles", notamment sur "la capacité du jeune à donner son consentement". Cependant, selon elle, "il y a beaucoup de fantasmes dans les propos de l'Observatoire (de la petite sirène)".

Les consultations de mineurs pour transidentité ont certes beaucoup augmenté depuis une dizaine d'années, mais "c'est une augmentation par rapport à zéro" puisqu'il n'existait pas de service spécialisé en France avant 2013, observe-t-elle.

Début 2022, on comptait 294 mineurs suivis en France pour transidentité dans le cadre d'une procédure d'"affection longue durée" (ALD) reconnue par la Sécurité sociale, selon un rapport remis au gouvernement : "Ce n'est pas un raz de marée", estime le Dr Condat.

Pour chaque dossier, "prescrire ou ne pas prescrire" des hormones est une "décision délicate", prise par plusieurs médecins, de manière pluridisciplinaire. "Certains de ces jeunes sont en sévère dépression. Plus de 30% sont complètement déscolarisés lorsqu'ils arrivent chez nous pour un premier rendez-vous, qu'ils ont d'ailleurs attendu pendant 12 à 18 mois. Si c'était une passade, ils auraient eu le temps d'annuler", observe la pédopsychiatre qui dit n'avoir "jamais eu l'impression d'aller trop vite".

"Il faut prendre le temps, mais jusqu'à quand ? Faut-il refuser une transition hormonale à 16 ou 17 ans, mais prescrire alors des neuroleptiques qui ont aussi des effets secondaires ?"

Avec les hormones, "on ne supprime pas totalement le risque de suicide chez ces patients, qui restent vulnérables, mais on améliore beaucoup leur état psychique", analyse le Dr Condat.

Pour Maryse Rizza, présidente de l'association Grandir Trans qui regroupe quelque 1 300 familles, "il est vrai que tous les enfants en questionnement ne sont pas forcément vraiment trans, et qu'il faut faire attention, car prendre des traitements, c'est lourd".

Mais si les "psys bien formés sont trop peu nombreux", à l'inverse les structures médicales spécialisées "ne font pas n'importe quoi" et appliquent au contraire des protocoles extrêmement rigoureux, selon elle. Comme celui prescrit à son fils Ruben, presque 16 ans, qui va "bientôt commencer la testostérone" et est "suivi de près et très régulièrement".

Avec AFP

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