Le Lesotho à l’épreuve du VIH, depuis l’arrêt de l’aide américaine, les guérisseurs traditionnels prennent le relais mais pas sans risques

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Dans une cabane de tôle de la périphérie de Maseru, capitale du Lesotho, Lieketseng Lucia Tjatji est assise sous un tissu noir orné d'une tête de lion. A sa gauche, des racines, poudres et herbes séchées qu'elle propose désormais aux patients atteints du VIH.

Le Lesotho à l’épreuve du VIH, depuis l’arrêt de l’aide américaine, les guérisseurs traditionnels prennent le relais mais pas sans risques

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Privés de médicaments vitaux après le gel des aides décrété par le président américain Donald Trump en février, les séropositifs se pressent chez cette guérisseuse traditionnelle agréée de 34 ans, dans l'espoir de pouvoir y trouver un traitement alternatif efficace.

« J'ai aidé des gens », qui sont « de plus en plus nombreux à arriver » affirme Lieketseng Lucia Tjatji, la voix posée.

Le Lesotho, petit royaume montagneux pauvre de 2,3 millions d'habitants enclavé en Afrique du Sud, compte un taux de prévalence du VIH parmi les plus élevés au monde : environ un adulte sur quatre est séropositif, selon le ministère de la Santé.

Lieketseng Lucia Tjatji, qui est également créatrice de mode, est elle-même séropositive. Les antirétroviraux fournis par le gouvernement qu'elle prend assidûment depuis 2003 sont désormais limités à des renouvellements de trois mois en raison des coupes budgétaires dans l'aide au développement décidées par l'administration Trump, et elle n'a aucune garantie de pouvoir s'en procurer d’autres.

« Je ne veux pas mourir », « je suis si jeune », dit-elle à l'AFP.

Les guérisseurs à la rescousse ?  

Les guérisseurs traditionnels, connus sous le nom de sangomas, sont respectés par de nombreuses personnes en Afrique australe pour leurs capacités à guérir et leurs conseils spirituels.

De nombreux sangomas considéraient autrefois le VIH comme une malédiction du monde des esprits, estimant que les patients avaient été ensorcelés. Certains prétendaient même pouvoir guérir le sida.

Les nouveaux praticiens, comme Lieketseng Lucia Tjatji, suivent une initiation et une formation de longue durée avant d'être autorisés à administrer les remèdes transmis de génération en génération.

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« La médecine traditionnelle joue un rôle essentiel dans la santé holistique et le bien-être de la communauté », explique à l'AFP Mpho Roberta Masondo, directrice de l'Association nationale des guérisseurs africains, basée dans l'Afrique du Sud voisine.

Mais elle ne remplace pas « la thérapie antirétrovirale, qui reste le moyen le plus efficace de supprimer le VIH », souligne Mpho Roberta Masondo, qui est également guérisseuse traditionnelle.

Une conséquence directe de l’arrêt de l’aide américaine  

Le Lesotho a été un bénéficiaire majeur des aides américaines ces dernières années. La santé est le premier secteur aidé par les fonds américains avec 120 millions de dollars alloués en 2024, dont 43,5 pour la seule lutte contre le VIH/Sida.

Depuis 2016, il a notamment reçu plus de 850 millions de dollars de Washington pour le financement de la lutte contre le VIH, principalement via le programme PEPFAR.

Début mars, pour défendre la suppression de programmes d'aides américains à l'étranger, Donald Trump avait pris l'exemple de ceux destinés au Lesotho, qu'il avait qualifié de pays dont « personne n'a jamais entendu parler ».

En l'absence de financement des Etats-Unis, les programmes de lutte contre le VIH au Lesotho risquent de s'effondrer, ont averti mi-février une trentaine d'ONG.

Près de la moitié des programmes financés par le PEPFAR ont été interrompus, notamment pour la prévention du VIH par les médicaments PrEP ou la circoncision masculine, et le Lesotho, à court d'argent, apparaît démuni pour combler ces trous.

« Le danger ultime c’est la désinformation »

Les experts craignent que le recours à des remèdes alternatifs n'anéantisse les progrès réalisés dans la lutte contre le VIH au Lesotho, qui a atteint il y a cinq ans l'objectif « 90-90-90 » des Nations unies : que 90% des personnes atteintes du virus soient diagnostiquées, suivent un traitement et parviennent à une suppression virale.

« Je suis très inquiète », souligne Jessica Justman, directrice technique principale à l'ICAP, un centre de santé mondiale de l'université Columbia de New York.

« Utiliser un traitement inefficace équivaut à ne pas prendre de traitement du tout », a-t-elle ajouté. Il expose les personnes vivant avec le VIH à des infections opportunistes telles que la tuberculose, la méningite et la pneumonie.

Mpho Roberta Masondo souligne toutefois que les méthodes traditionnelles peuvent apporter un soulagement.

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« La guérison traditionnelle ne se limite pas aux herbes ; il s'agit d'une approche holistique et globale qui renforce le corps, l'esprit et la conscience », dit-elle, ajoutant : « le danger ultime ou réel n'est pas la guérison traditionnelle elle-même, c'est la désinformation ».

Dans la cabane qui lui sert de cabinet de consultation, Lieketseng Lucia Tjatji dit craindre que les médecines alternatives ne l'aident pas parce que son organisme s'est peut-être habitué à un traitement antirétroviral régulier.

Peut-être que le Lesotho « produira les pilules pour nous », espère-t-elle.

Avec AFP

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