
La jeune femme à l'aiguille de Magnus von Horn.
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Un film visuellement splendide et d’une force obscure, dont la puissance laisse percer des rais de lumière et d'espoir. Impressionnant.
Avec La jeune femme à l'aiguille, voici venu notre premier choc esthétique de 2025. Lumière, cadrage et décors sont au service d'un univers qui retranscrit de façon aussi admirable qu'atroce la déréliction des années européennes d'après-guerre, la situation danoise décrite étant au carrefour de la révolution industrielle anglo-saxonne et de la faillite allemande des années 20, dont Magnus von Horn irait explorer le rebut. L'expressionnisme dont s'inspire directement sa réalisation se conjugue subtilement au champ lexical du conte, que ce soit au travers d’une picturalité rappelant les illustrations de Gustave Doré ou au moyen d’éléments narratifs directs - telles l'innocence angélique d'une enfant blonde, ou une boutique de bonbons figurant l'antichambre d'une forme d'enfer. Cet enfer que rappelle le leitmotiv du cercle - peut-être von Horn en a-t-il semé neuf - entre oeil de Caïn, éclat d’obus et trou de latrines.
« Avec La jeune femme à l'aiguille, voici venu notre premier choc esthétique de 2025 »
Si le film est impressionnant de maîtrise et durablement impactant visuellement, le propos est loin de la binarité du noir et blanc - somptueux - qui le rehausse. La monstruosité qui y est décrite, et qu'on ne révèlera pas, sans pour autant être banalisée, n’est que le prolongement, l’aboutissement terriblement logique d’une somme effrayante d'horreurs, permises par l’affaissement d’une société ravagée par la guerre et asphyxiée par le conservatisme. C'est de cette plaie béante où la survie semble s'être imposée comme seule alternative à la mort - concrète ou sociale - qu'a pu naître le projet de Dagmar, et von Horn est suffisamment habile pour ne pas abîmer la complexité du personnage par des clés de compréhension trop évidentes. Le Mal, semble-t-il nous dire, n'est finalement que la coulisse de l'ordre apparent, non pas antinomique au Bien, mais le relais de ce dernier quand il s’avère insuffisant à assurer et maintenir la marche du monde - pour peu qu'il ait jamais servi à cela. Une oeuvre par delà la morale, donc. Nietzschéenne. Et terrifiante.
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Au bout de ce long tunnel hanté par deux actrices impressionnantes, souvent plus glauque qu’un clip de Mylène Farmer, surgit un espoir ténu, soutenu par la métaphore de l’allaitement comme transmission, comme antidote à la contamination. On respire, tout en ne pouvant oublier que cette parenthèse se refermera quelques années plus tard sur une autre guerre, un autre charnier.