Étude de cas : l'assassinat de Bobby Kennedy

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Inspection des travaux finis

Étude de cas : l'assassinat de Bobby Kennedy

Cinquante ans après l’assassinat de Robert Francis Kennedy, des neurochirurgiens de l’Université Duke (États-Unis) ont repris le fil de sa prise en charge médicale après l’attentat. Avec cette question en tête : a-t-il été bien traité ?

Le 6 juin 1968, moins de cinq ans après la mort de son frère John à Dallas, Robert Francis Kennedy, dit Bobby, est à son tour assassiné, à Los Angeles (Californie). Quand il s’agit des Kennedy, les relations de la famille, qu’elles soient criminelles ou politiques, l’implication de la CIA, qu’elle soit vérifiée ou non, génèrent un maelström politico-médiatico-conspirationniste qui emporte la vérité dans un flot de soupçons.

Elle jettent le doute sur les circonstances des décès brutaux qui émaillent encore au 21e la lignée des Kennedy. La prise en charge médicale de Bobby Kennedy n’échappe pas à la règle. Mais cinquante ans plus tard, des chercheurs de l’université Duke l’ont décortiquée, afin de déterminer s’il avait bénéficié de traitements adéquats.

Abattu en plein élan politique

Retour sur les évènements. RFK est le frère cadet de JFK, et grimpe avec son aîné les échelons du pouvoir. Après son élection à la présidence des États-Unis en 1961, John le nomme à 35 ans Attorney general (Procureur général, l’équivalent du ministre de la Justice). Un poste qui lui vaudra de se faire une liste d’ennemis peu enviable : celle des parrains du crime organisé.

À la mort de son frère, il démissionne pour briguer avec succès, l’année suivante, le poste de sénateur de l’État de New-York. Quatre ans plus tard, en 1968, il se présente comme favori à la primaire démocrate pour la Maison-Blanche.

Le 4 juin, il remporte la Californie. Le soir, alors qu’il traverse les cuisines pour quitter l’Hôtel Ambassador où il donnait son discours de victoire, un Américano-Jordanien de 24 ans, Sirhan Sirhan, tire sur le candidat à bout portant et à plusieurs reprises. Une balle traverse son épaule, une autre le touche au cou, et une troisième, fatale, transperce sa boîte crânienne derrière l’oreille droite.

Panique de prise en charge

L’étude des neurochirs de Durham (Caroline du Nord) revient, pas à pas, sur la suite. Pendant 17 minutes, Bobby Kennedy est soigné par cinq médecins (dont un généraliste, un radiologue, un spécialiste en médecine interne et un chirurgien trauma) – qui ont répondu au traditionnel « Y a-t-il un médecin dans la salle ? » – sur le sol des cuisines de l'Ambassador. Il est ensuite transporté par erreur au Central Receiving Hospital, qui n’était pas équipé pour les urgences en neurochirurgie. Trois quarts d’heures après les coups de feu, il est finalement admis au Good Samaritan, à 1h le matin du 5 juin. Sur une éventuelle perte de chances liée à ce délai, les chercheurs américains ne se prononcent pas.

Ils ont en revanche analysé les soins prodigués. Les premières observations des médecins à l'hôtel révèlent que Bobby Kennedy présentait une respiration superficielle, un rythme cardiaque entre 50 et 60 pulsations par minute, et que son œil gauche était fermé alors que son œil droit était ouvert et déviait vers la droite. Encore conscient (à peine), il pouvait bouger tous ses membres.

Stanley Abo, le radiologue, a inséré un doigt dans la plaie par balle pour évacuer un caillot et libérer le sang qui s'accumulait et faisait monter la pression intracrânienne. Ce qui a permis à RFK de reprendre ses esprits de manière temporaire.

Une chirurgie agressive

À son arrivée au premier l'hôpital, il était inconscient et son regard était fixe. Il était en arrêt respiratoire et son pouls était presque indétectable. L'équipe médicale l'a intubé, a entamé la réa cardio-pulmonaire, pendant dix minutes, et administré de l'adrénaline, ainsi que du dextrane et de l'albumine en IV, faisant remonter la pression artérielle à 15/9, et rétablissant un léger effort respiratoire.

Après son transfert au Good Samaritan, son état s'est dégradé : plus aucune réponse à la douleur, et l'hémorragie au niveau du mastoïde continuait. À 3h10, le Dr Henry Cuneo, neurochirurgien disposant de 31 ans d'expérience, est prêt à opérer. Pendant 3h45, il s'est attelé, avec son équipe, à retirer les fragments de balle et d'os. Après une craniectomie de 5 cm de diamètre, des morceaux de tissu mort du lobe occipital et du cervelet sont retirés et une hémorragie du sinus pétreux est jugulée. L’œdème est contrôlé par du mannitol et de la dextraméthasone. À l'issue de la chirurgie, Kennedy est placé dans une couverture réfrigérante. À ce stade, la réponse motrice revient légèrement du côté droit mais les consultants dépêchés du pays tout entier ne se font guère d'illusions sur l'état neuro de Bobby Kennedy dans l'éventualité de sa survie.

Un traitement agressif mais adapté

Vers 18h, son état commence à se dégrader et son décès est prononcé à 1h44 le matin du 6 juin. L'autopsie pratiquée par la suite – qualifiée de « parfaite » – a révélé des dommages importants au cervelet et au cortex occipital du côté droit. « De nombreux fragments de balle et d'os étaient éparpillés dans le tissu cérébral, et des traces d'hémorragies épidurale, subdurale et subarachnoïde ont été notées », expliquent les neurochirs de l'Université Duke. « Des indices d'engagement cérébral ont également été mis en évidence, causés par l’œdème cérébral ».

D'après l'étendue des blessures, ils estiment que le sénateur avait moins d'une chance sur deux de survivre. Les rapports les incitent à penser que son Glasgow était compris entre 3 et 6 pendant tout son séjour à l'hôpital.

Bobby Kennedy a-t-il été bien pris en charge ? Les auteurs de l'étude le pensent. « Le sénateur Kennedy a reçu des soins agressifs et appropriés en adéquation avec les standards de l'époque », expliquent-t-ils, en ajoutant que le choix d'une chirurgie à la lumière de l'état du patient peut se discuter.

L'autopsie polémique

Pour eux, si l'agression avait eu lieu en 2018, la différence majeure aurait été la réalisation d'un scan cérébral à son arrivée. Mais l'examen n'est disponible que depuis les années 1970. Les techniques de microchirurgie auraient aussi pu faciliter la tâche des chirurgiens, tout comme une mesure constante de la pression intracrânienne. Dans l'ensemble, ils ne semblent pas convaincus qu'il aurait eu plus de chance de s'en sortir aujourd'hui.

Le rapport d'autopsie est l'un des éléments qui ont nourri la polémique. D'après les blessures, les médecins qui l'ont pratiquée ont conclu à un tir fatal à bout portant, à moins de 10 cm, alors que les témoins rapportent que le tireur ne s'est pas approché à moins de 50 cm de RFK. L'un des gardes du corps, Thane Eugene Cesar, militant d'extrême droite, a été accusé par l'un des témoins qui l'aurait vu tirer dans sa direction.

La suspicion sur l'assassinat n'est donc toujours pas levée.

Source:

Jonathan Herchkovitch

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