
What's up Doc : Qu’est-ce qui vous a amené à la médecine ?
Abakar Mahamat : Quand j’étais petit, j’ai failli mourir d’un abcès. Un médecin m’a sauvé et j’ai trouvé cela fascinant. Ensuite, il y a mon père. Pour lui, l’éducation était très importante. Nous étions très pauvres, une des familles les plus pauvres du pays. Mon père avait compris que notre seule chance d’avoir une vie meilleure, c’était l’éducation. On pouvait manquer de tout à la maison, mais pas de craie, de papier et de crayons.
Pour pouvoir venir en France étudier la médecine, j’ai dû bénéficier d’une coopération militaire entre la France et le Tchad. J’ai passé un concours pour devenir médecin militaire dans l’armée française. Un médecin militaire fait les mêmes études qu’un médecin « classique ». Finalement, après mes études, je suis devenu chef de clinique puis Praticien Hospitalier (PH). Depuis 2017, je suis en activité libérale situé à Saint-Laurent-du-Var (PACA).
Votre parcours associatif commence avec des missions effectuées à l’hôpital public de N’Djamena, la capitale du Tchad. Quel a été votre rôle ?
A.M : Vers 2010, avec un groupe issu de la diaspora tchadienne en France (GESST), j’ai effectué des missions ponctuelles parce qu’ils manquaient de personnels. Un hôpital de bon niveau était en cours de construction pendant nos missions. À ce moment-là, j’étais PH au CHU de Nice. J’ai posé une disponibilité et je me suis envolé dans mon pays d’origine. J’ai participé au lancement du service de gastro-entérologie et à la formation des soignants.
Comment est née l’ADESZ ?
A.M : En 2021, j’étais en vacances dans mon village natal : Zafaya. J’ai été très triste de voir que l’école n’était plus en état de fonctionner. Les enfants faisaient l’école sous des arbres. Les habitants du village, démunis ne pouvaient reconstruire les salles de classe.
« Les bâtiments sont inutilisables, il manque de fournitures et d’enseignants. »
Le village est situé au bord du fleuve Chari, seul fleuve qui alimente le lac Tchad. Tout le monde vivait de la pêche. Aujourd’hui, à cause du réchauffement climatique et de la récurrence de la sécheresse, il y a beaucoup moins de poissons. Les villageois eux-mêmes ont du mal à subvenir à leurs besoins vitaux, ils ne peuvent plus entretenir l’école. Résultat : les bâtiments sont inutilisables, il manque de fournitures et d’enseignants. Il n’y avait qu’un seul enseignant envoyé par l’État, les autres étaient des volontaires, donc non-salariés. C’est ainsi qu’en 2021, nous avons fondé l’association ADESZ, pour reconstruire les salles de classe de l’école que j’ai moi-même fréquentée.
Qu’avez-vous pu faire pour l’école, quelle est la situation aujourd’hui ?
A.M : En décembre 2023, nous avons reconstruit trois salles de classes. Aussi, les enseignants volontaires sont dorénavant rémunérés de manière forfaitaire. C’est un petit salaire, mais c’est déjà bien ! Cette année, il y a malheureusement eu une énorme inondation. La moitié des maisons du villages ont été détruites. Le collège aussi. Notre but est donc de s’attaquer à la reconstruction du collège.
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Pour l’école primaire, nous avons aussi plusieurs objectifs. On constate une déscolarisation progressive d’un niveau à l’autre, surtout entre les deux premières années (44%), sans doute en raison des difficultés qu’éprouvent les parents. Ill n’y a pas de maternelle mais il y a deux classes de CP. Le CP1 est composé de 120 élèves. L’année d’après, au CP2, ce chiffre tombe à 67 élèves.
Et il n’y a qu’une classe par niveau. Ce qui fait qu’en CP1, il y a 120 élèves dans une seule salle de classe. Une des actions à mener dans les prochaines années, c’est de construire de nouvelles salles de classes et recruter autant d’enseignants. Idéalement, nous aimerions construire trois salles supplémentaires pour le CP1, deux salles supplémentaires pour le CP2, une salle supplémentaire pour les classes de CE1 et CE2. Soit un total de sept nouvelles salles de classes. Le budget nécessaire à ces travaux est d’environ 25 000 €.

L'association ADESZ a permis la reconstruction de trois salles de classes
Outre l’éducation, quels sont les objectifs de l’ADESZ ?
A.M : Les autres buts sont la promotion des activités de développement notamment dans les domaines de la santé, de l'agriculture, de l'économie et de la question du genre à Zafaya.
Dans le secteur de la santé, il y a un centre de santé tenu par des infirmiers, prenant en charge des pathologies primaires comme les paludismes sans gravité. Les cas graves ou ceux nécessitant une hospitalisation de plusieurs jours consécutifs sont transférés car le centre ne dispose pas de lits, les patients étant traités à même le sol sur des nattes. Les projets à venir dans ce secteur seront la construction de nouvelles chambres équipées de lits, l'acquisition d'équipement de diagnostic biologique et d'imagerie ainsi que les médicaments et les divers consommables.
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En ce qui concerne les questions de genre, Traditionnellement, la femme a une place centrale puisque la société est à l’origine matriarcale. Avec la baisse du rendement des activités génératrices de revenus comme la pèche, les femmes sont contraintes à exercer diverses activités pour compenser en partie la baisse des revenus du foyer. Une des missions de ADESZ sera de les aider par des micro crédits pour mener des activités génératrices de revenus. La scolarisation des jeunes filles sera une priorité ainsi que l’éducation à la gestion des grossesses par un planning familial.
Enfin, quant à l’agriculture, nous voulons relancer la culture du riz. La coopérative agricole de riz crée en 1996, a une superficie de 35 hectares divisée en 140 parcelles. Cette coopérative qui permettait une autosuffisance alimentaire de la population et une autonomie dans la gestion du centre santé et de l’école, est à l’arrêt depuis quatre ans suite à une mauvaise campagne.
Où trouvez-vous les financements ?
A.M : Nous fonctionnons principalement grâce aux dons des membres. Aussi, ADESZ compte approximativement 200 membres. Le montant d’adhésion est fixé à 15 € minimum. Toutes personnes sensibles à la cause sont les bienvenues. Nous pouvons aussi récupérer du matériel scolaire ou médical, pour le jour où nous pourrons l'acheminer jusqu'au Tchad, ce qui n’est pas le cas à ce jour car très couteux. L’hôpital où j’exerce me met à disposition un local où entreposer médicaments, fournitures scolaires, etc.
« La scolarisation des filles sera une priorité ainsi que l’éducation à la gestion des grossesses par un planning familial. »
Ce dont ADESZ a besoin, c’est aussi des idées : comment être efficace dans la récolte de fonds, comment s’organiser pour acheminer ?
Un site internet est actuellement en cours de construction. Pour le moment, il est possible de contacter l’association via cet adresse mail : adeszafaya@gmail.com ou par téléphone au 06 63 07 66 12.
Comment on gère une association avec de tels projets tout en étant médecin en exercice ?
A.M : C’est le point le plus compliqué, en effet. Gérer ces deux activités est très prenant. Je m’occupe de l’association sur mon temps libre : le soir ou le week-end. Mais j’ai la chance d’avoir le soutien très actif des membres du bureau, du conseil d’administration ainsi que des volontaires. Pour autant, cette activité associative est importante pour moi. C’est une vraie bouffée d’oxygène de m’investir dans une cause qui me tient à cœur. Oui, c’est compliqué parfois, mais la satisfaction personnelle est bien supérieure.
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