
Demi Moore dans The Substance, de Coralie Fargeat.
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La presque débutante Coralie Fargeat réalise un coup de maître avec ce film monstre, dans tous les sens du terme : ambitieux, excessif, insoutenable mais avant tout complet.
Il est assez impressionnant de voir avec quelle maîtrise, quelle aisance Coralie Fargeat prend plaisir à appréhender pour se les approprier, avec une exhaustivité rare, sans complexe ni tabou, la plupart des canons du film de genre. De tous les genres. Défilent ainsi, devant nos rétines sans cesse sur-stimulées, Kubrick, Lynch, De Palma, Cronenberg, Winding Refn, convoqués pour une sorte de culte assez dément, recyclés dans le meilleur sens du terme et avec, semble-t-il, un seul objectif : celui de l'efficacité.
« Le duo Demi Moore Coralie Fargeat dénonce l'abjection qu'il y a à réduire le féminin à un enjeu corporel dont le défi se réduirait à le rendre consommable aussi longtemps que possible »
C'est cette assurance qui transparaît le plus de la vision de ce film qui déborde en permanence tout en ne laissant jamais rien dépasser. Il a reçu le prix du scénario à Cannes et, passé l'étonnement de voir cet aspect-ci du travail de Fargeat récompensé, tant sa mise en images est impériale, ceci est au final fort logique, tant ce synopsis qui tient en quelques lignes constitue un squelette résistant à toute épreuve lui permettant de déployer sa démesure baroque jusqu'à l'extrême. Le résultat n'en est que plus écrasant, The Substance s'imposant d'emblée comme une référence, peut-être un film culte, là où Julia Ducournau, pourtant palmée, échouait - ou se refusait - à faire de ses réalisations des oeuvres abouties, la faute à des scénarios foutraques et désinvestis.
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En pleine conscience et en pleine confiance, la réalisatrice française a inoculé à Demi Moore une énergie qui concourt pleinement au propos du film, ou plutôt qui en constitue une alternative, un sous-texte aux valeurs de manifesto, une prise de pouvoir par la grande porte, la reconquête de ce qui a été saccagé par un manspreading cinématographique originel. Le duo n'essaie jamais de se faire une petite place dans le train de références qu'empile le film, ni de les foutre en l'air. Il y va au contraire à fond, dans une jouissance communicative, et c'est avec la même intention, la même rage peut-être, qu'il dénonce l'abjection qu'il y a à réduire le féminin à un enjeu corporel dont le défi, social et scientifique, se réduirait à le rendre consommable aussi longtemps que possible. Les gros plans incessants sur les fessiers et les cuisses sanglés dans des bodys criards provoquent le même dégoût que les chairs fripées, boursouflées, putrescentes et broyées. Il n'y a ainsi pas de vraie rupture entre la beauté et la laideur, la jeunesse et la déréliction, tant elles ont en commun une hideur potentielle. Et c'est par cette approche féminine que l'on réalise à quel point c'est de la masculinité du regard dont cette monstruosité dépend. The Substance s'avère donc, et avant tout, un film de genre, dans le sens où on le sent constamment habité par une acuité et une colère toutes féminines.