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Nidal Nabhan Abou est psychiatre légale. Elle exerce au centre hospitalier Guillaume Régnier à Rennes à mi-temps. Le reste du temps, elle est experte auprès de la Cour d'appel de Rennes et à la Cour de Cassation à Paris.
What’s up Doc : Qu’est-ce qui vous a amené à la psychiatrie légale ?
Nidal Nabhan Abou : C'est une question de rencontre ! J'ai croisé un psychiatre dans mon parcours qui faisait de la psychiatrie légale et ça m'a fascinée. Déjà pendant mes études de médecine, j’étais intéressée par le fonctionnement du cerveau et de la psyché humaine au moment d’un crime, d’un passage à l'acte. J’ai donc fait un diplôme interuniversitaire de psychiatrie légale et des leçons introductives au droit afin de comprendre comment fonctionne le système législatif.
Où exerce généralement un psychiatre légal ?
N.N.A : Alors, il y a plusieurs lieux d'exercice. On peut aller en prison, en unités d'hospitalisations spécialement aménagées (UHSA), en unités spécifiques de soins intensifs psychiatriques (USIP), en service médico-psychologique régional (SMPR), en unité de malade difficile (UMD) et au tribunal.
Le psychiatre légal réalise des expertises, mais pas que. Le propre du travail du psychiatre légal, c'est évaluer la dangerosité. Nous sommes une interface entre la justice et la santé et entre la prison et l'hôpital.
Nous devons aussi gérer les soins sans consentement. Ce sont les internements en psychiatrie. Mais aussi les soins pénalement ordonnés.
Nous nous occupons également des détenus, notamment des auteurs de violences sexuelles par l'intermédiaire des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS).
https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/nidal-nabhan-abou-la-wonder-woman-de-la-psychiatrie-legale
Comment on gère au quotidien lorsqu’on est confronté au pire de l’âme humaine ?
N.N.A : C’est une question de compétences. Dans mon cas, j'ai étudié la médecine et j’exerce la psychiatrie depuis 25 ans.
Après, évidemment qu’il y a des sujets plus compliqués à traiter que d’autres. Dans mon cas, les affaires qui touchent aux enfants m’affectent davantage. Peut-être parce que je suis maman… Ça me prend aux tripes.
Il est vrai qu’en psychiatrie légale, on ne raconte pas notre journée à notre famille entre le fromage et le dessert. C’est pour cela qu’on se fait superviser.
En quoi consiste la « supervision » ?
N.N.A : Nous pouvons parler avec des confrères qui exercent aussi la psychiatrie légale. Et parfois, dans des affaires « graves », nous sommes en cosaisine. Nous sommes donc deux pour faire l'examen et cela permet de pouvoir échanger sur l'horreur de ce que l’on a entendu. C’est important de pouvoir extérioriser.
Aujourd’hui, après autant d’années d’exercice, je suis chevronnée donc c'est moi qui supervise les plus jeunes.
Vous côtoyez des patients dangereux au quotidien, avez-vous déjà été agressée ?
N.N.A : Dans mon cas, la violence, je la vis au quotidien. La seule réponse contre la violence, c'est l'anticipation. C’est de ma responsabilité de comprendre que le malade n'est pas bien. Pour le moment, j'ai traversé toute ma carrière sans avoir été agressée physiquement parce que j'ai appris à anticiper le risque.
Il ne faut pas non plus négliger la cohésion d'équipe, de l'aide-soignante, à l'infirmière jusqu’au chef de service et à l'interne. Si les soignants font front ensemble, tout va bien se passer.
Dans tous les cas, la coercition n’est jamais une bonne réponse. Il faut des soins adaptés.
« Nous ne sommes donc jamais isolés dans nos décisions. Et il faut rappeler que nous sommes des auxiliaires de justice, pas des juges. »
Vous avez un impact capital dans les affaires judicaires. Avez-vous parfois peur de mal évaluer un patient, au risque que cela ait des conséquences majeures pour son avenir ?
N.N.A : L’expertise psychiatrique dans un procès est la pièce maîtresse. Nous sommes très attendus par les avocats, par les juges, mais aussi par les parties civiles. Tous veulent comprendre le mécanisme du passage à l'acte. Mais si vous estimez qu’une personne est malade et irresponsable, elle n’ira pas en hôpital psychiatrique obligatoirement.
Le système judiciaire français et le code pénal sont bien conçus : nous ne décidons jamais seuls. Si j’estime qu’un accusé est pénalement irresponsable, une contre-expertise est systématiquement demandée. Ce n’est qu’en cas de confirmation que l’irresponsabilité est reconnue. Si la conclusion est incertaine ou nuancée, un collège d’experts est réuni.
Nous ne sommes donc jamais isolés dans nos décisions. Et il faut rappeler que nous sommes des auxiliaires de justice, pas des juges. Notre rôle est d’apporter un avis médical fondé sur notre pratique clinique. Le jugement appartient aux assises et au jury populaire. Nous ne faisons pas justice : nous exerçons notre métier de médecins, en fournissant une expertise, sans jamais nous substituer aux magistrats.
Y’a-t-il un enjeu majeur auquel doit faire face la psychiatrie légale actuellement ?
N.N.A : Nous faisons face à une dérive sécuritaire. On a des injonctions paradoxales. La première c'est le risque zéro. Certains ne supportent pas qu'il y ait un risque pour la société. D’autres nous demandent de respecter le droit du patient à circuler librement. Donc, on nous demande « un risque zéro » et « d’enfermer tout ce qui est dangereux ». Mais de l'autre côté, on nous dit : « Vous n'êtes pas des liberticides, vous vous ne pouvez pas enfermer n'importe qui et n’importe quand. ».
En tant que médecin, on doit respecter les règles d’éthique. Notre but est de minimiser les risques pour la société, en maximisant les bénéfices pour nos patients.
La psychiatrie légale est-elle une spécialité en tension ?
N.N.A : Il y a un manque criant de médecins en psychiatrie. La psychiatrie légale n’y échappe pas. Mais, l'option de psychiatrie légale vient de sortir cette année. Les internes ont un an de formation supplémentaire. Donc, la première promotion va sortir l'année prochaine. On ose espérer que les jeunes seront intéressés par l'option et qu’on aura davantage de psychiatres légaux dans nos rangs !
Que diriez-vous à un étudiant qui serait intéressé par votre spécialité ?
N.N.A : Il faut de la passion pour exercer ce métier. Déjà pour être un bon psychiatre, il faut que ça soit un choix conscient, pas par dépit. Et la psychiatrie légale mérite vraiment le détour. En revanche, il faut avoir du sang froid et le moral solide.
Quel avenir voyez-vous pour la psychiatrie légale ?
N.N.A : Avant, personne ne parlait de la psychiatrie légale. Et, avec le Dr Mathieu Lacambre, nous avons créé la première section de psychiatrie légale au sein de l'Association Française de Psychiatrie Biologique et de Neuropsychopharmacologie (AFPBN). Nous sommes allés partout en France pour sensibiliser les confrères à la psychiatrie légale, à la dangerosité des patients, à la gestion de l'irresponsabilité pénale, etc.
De même, la psychiatrie légale n'existait dans aucun congrès psychiatrique. Nous avons changé cela. Par exemple, cette année, on va faire une session sur les bébés secoués et sur les meurtres d’enfants. Avec toutes ces nouveautés dans la spécialité, l’avenir sera positif.
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