Crise des urgences : les malades ne sont pas coupables !

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Culpabiliser les malades et les rendre responsables de la situation délétère des urgences n’est pas acceptable, selon l’économiste Jean-Paul Domin qui propose dans une tribune de réorganiser la médecine libérale, et de trouver un mode de financement efficace pour les urgences.

Crise des urgences : les malades ne sont pas coupables !

« Quand la santé est gratuite, la demande est illimitée ! On trouve des gens qui n’ont rien à faire aux urgences, mais qui viennent car c’est gratuit » assénait récemment avec un aplomb péremptoire l'éditorialiste de LCI François Lenglet.  

Ce type d’affirmation « repose sur la mythologie de la théorie économique de l’assurance selon laquelle l’individu est forcément tricheur et est prêt à tout pour satisfaire son intérêt personnel », analyse Jean-Paul Domin, maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, dans une tribune publiée dans Alternatives économiques.

Abuser de la générosité du système ?

Pour ce membre des économistes atterrés spécialiste de l’économie politique de la santé, la théorie économique de l’assurance appliquée aux urgences entraînerait le raisonnement suivant : « la gratuité du service attirerait forcément le malade professionnel qui cherche les bonnes affaires, en l’occurrence se faire soigner gratuitement », puisque que l’individu qui est couvert par la Sécurité sociale « est incité à abuser de la générosité du système ».

C’est ce que les théoriciens de l’assurance appellent l’aléa moral qui se partage en deux espèces. L’aléa moral ex ante repose sur l’idée que « l’individu rejette toute forme de précaution parce qu’il est assuré ». L’aléa moral ex post « suppose qu’une fois le risque survenu, la personne abuse du dispositif », selon l'économiste.

En d’autres termes, « le malade prend volontairement froid parce qu’il est assuré à un coût faible par la Sécurité sociale (aléa moral ex ante) et va ensuite se faire soigner gratuitement aux urgences (aléa moral ex post) », résume Jean-Paul Domin.

Culpabiliser les malades

 À la manière du système de la dette, la théorie économique de l’assurance consiste à « culpabiliser les malades et à les rendre responsables de la situation délétère des urgences  ». Ce n’est pas « acceptable » selon l’économiste, persuadé que cette crise est « avant tout le résultat de la politique de remise en question du service public hospitalier qui pèse sur les personnels et les usagers ».

Et de citer quelques chiffres qui expliquent la crise des urgences actuelle. Entre 1996 et 2017, la fréquence des passages aux urgences est passée de 10,1 à 20,2 millions (hors services de santé des armées). Depuis cette date, le nombre de passages aux urgences augmente au rythme de 3,5 % par an.

8,8 millions sous le seuil de pauvreté

Cette hausse importante de la fréquentation depuis vingt ans doit être aussi appréhendée à l’aune de l’évolution du taux de pauvreté, selon Jean-Paul Domin. En 1996, 7,6 millions de personnes étaient sous le seuil de pauvreté monétaire (60 % du revenu médian),  contre 8,8 millions de personnes en 2017. Or, « l’hôpital reste, notamment en période de crise économique, le principal lieu d’accueil des souffrances médicales et sociales », affirme l’économiste.

Mais l’afflux de malades dans les services d’urgence résulte également de l’inorganisation du système de santé et notamment de l’impossibilité pour certaines personnes d’être soignées dans un cabinet de médecine générale, poursuit Jean-Paul Domin qui fait allusion au fait que certaines personnes n’ont pas accès à un médecin généraliste près de chez eux.

Une meilleure organisation de la médecine libérale ?

Conclusion ? « Une meilleure organisation de la médecine libérale permettrait sans aucun doute de limiter des passages aux urgences. Pour cela, il faudrait qu’elle assure mieux la permanence des soins. Mais, une politique de ce type nécessite une organisation et un financement ad hoc. »

Enfin, l’économiste rappelle que les urgences sont financées par un dispositif spécifique : les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (Migac). Or, ce financement serait « insuffisant eu égard à l’importance des besoins ».

La revalorisation des Migac est d’ailleurs l’une des revendications des urgentistes, mais la ministre de la Santé ne l’a pas retenue, constate Jean-Paul Domin qui pense qu’il est « temps de trouver un mode de financement efficace pour les urgences ». Sans pour autant « faire payer le malade [...]. Cela ne ferait qu’aggraver les inégalités sociales de santé. »
 
 

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