Ca balance sur le management dans les hôpitaux parisiens

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En mode AP-HP leaks

Ca balance sur le management dans les hôpitaux parisiens

Un échange de messages entre un PU-PH de l’AP-HP, un cadre administratif et une directrice a « fuité ». Entre mails lapidaires et longs échanges argumentés sur le management, les différents acteurs auront sans doute du mal à se mettre d’accord. Mais ils tentent de s’expliquer.

« Je vous ai déjà dit que cela ne m’intéresse pas. Je soigne des malades, pas des chiffres ». C’est en ces termes qu’un médecin de l’AP-HP a répondu à un mail de son cadre administratif de pôle, M.B., qui lui envoyait les documents de suivi des indicateurs d’activités, de dépenses et de recettes.

La discussion aurait pu s’arrêter là, rejoignant les autres échanges de politesses entre soignants et administratifs tombés dans les abîmes des serveurs de courrier électronique des hôpitaux français. C’était sans compter sur la décision du cadre d’en référer à une supérieure, et sur la volonté d’une source « anonyme » d’en dévoiler le contenu.

S’en est suivi un échange animé entre la responsable et le PU-PH, lui aussi « anonyme ». La source l’appelle Professeur X. (Pour les plus curieux, des indices sur son identité se cachent dans les mails, et dans cet article).

« Il va falloir vous y faire »

« Bonjour Monsieur X. Malheureusement, il va falloir vous y faire », lui a répondu sa nouvelle interlocutrice, présentée par le lanceur d’alerte comme « une directrice ». « L’objectif est justement de nous assurer qu’ils se portent bien (les chiffres). À ma connaissance, ceci ne porte nullement atteinte ni aux patients, ni aux soins ». Le ton était donné.

Malheureusement pour la dramaturgie de la correspondance, l’agressivité pure est retombée. Mais la discussion passive-agressive qui a pris le relai vaut tout de même le détour. Visiblement agacé, le Pr X. s’est fendu d’une réponse argumentée.

« Comme tous ceux qui sont au fait de ces questions, vous devriez savoir que, contrairement à ce que vous avancez, les nouvelles organisations du travail et la gouvernance par les nombres sont particulièrement délétères pour la qualité des soins, la prise en charge des malades et la productivité », a-t-il expliqué avant d’inviter la directrice à se référer à une interview de Christophe Dejours dans Le Monde, La Gouvernance par les nombres d’Alain Supiot et le récent rapport d’Édouard Couty sur la situation au CHU de Grenoble.

« Je vous demanderais enfin d'éviter les formules lapidaires du genre "il va falloir vous y faire", car je ne m'y ferai jamais. Si je m'y faisais, ce serait très mauvais signe », a-t-il ajouté.

Vous pouvez pas comprendre

La réponse de la directrice, envoyée un samedi soir à 23h32, débute par des excuses sur la formule « il va falloir vous y faire ». Elle insiste ensuite sur son incompréhension face aux soignants d’envisager un quelconque investissement « au-delà de leur mission de soins », notamment « pour les questions ayant trait à la gestion », faisant au passage référence au premier message du Pr X, qui refusait de recevoir les informations.

Dans cet échange animé, c’est celui-ci qui aura le dernier mot, dans les limites fournies par la source. Il y critique la gestion par objectifs, la hiérarchie et son autoritarisme grandissant, « notamment dans notre GH », ainsi que les tâches administratives. Critiques qu’il avait déjà abordées dans un article de la revue Le Débat. Il tape aussi un petit coup sur les logiciels « plus ou moins défaillants », ça ne mange pas de pain.

Puis un petit coup de paternalisme, plaignant la directrice pour sa position, ainsi que celle des directeurs en général, qui sont « l’instrument de ces politiques, plus ou moins consciemment ». Et qui ne sont pas forcément mieux lotis.

Le fond du conflit

Il rappelle dans ce dernier mail son intérêt pour ces questions de gestions, mais souligne son désintérêt total pour les documents que lui fournissent les cadres administratifs. « Par hygiène mentale et pour préserver mes coronaires, comme on se désabonne d'une liste de diffusion dont les messages nous agressent ou nous importunent, j'avais demandé à M. B. de ne plus m'envoyer ni statistiques, ni tableaux de bord, ni autres documents du même ordre, en général fournis au format Excel. Voilà pourquoi je lui ai de nouveau demandé d'épargner mes vieilles artères et ma cervelle sensible ».

Le missile de fin de conversation parle de lui-même. « Pourquoi ces tableaux sont-ils dérangeants et même insupportables ? Parce qu'ils réduisent le travail des équipes soignantes à des chiffres, souvent faux d'ailleurs. Ce réductionnisme est contraire à notre vocation et à notre éthique. Refuser de recevoir ces données dans sa boîte mél est une façon de dire non à cette conception des choses, qui traduit une forme de misère intellectuelle et morale ».

On a hâte de recevoir le script de la saison 2.

Crédit photo : capture d'écran Scrubs (NBC)

Source:

Jonathan Herchkovitch

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