« 30% des chirurgiens orthopédiques déclarent un mal-être au travail, au CNP COT nous nous sommes emparés de ce sujet, la SoFCOT sera le moment privilégié pour échanger et en parler »

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En plus de la gestion des complications, la SoFCOT 2024 va s’intéresser à un autre thème inhabituel dans un congrès de spécialité, la QVCT (Qualité de Vie et Conditions de Travail)… Un sujet préoccupant quand on sait qu’un chirurgien orthopédiste sur trois déclare un mal-être. On en parle avec le Dr Roger Badet, président du CNP-COT (Conseil National Professionnel de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique).

« 30% des chirurgiens orthopédiques déclarent un mal-être au travail, au CNP COT nous nous sommes emparés de ce sujet, la SoFCOT sera le moment privilégié pour échanger et en parler »

Dr Roger Badet, Président du CNP-COT.

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What’s up Doc : Pourquoi aborder ce thème de la qualité de vie et des conditions de travail lors du congrès de la SoFCOT 2024 ?

Roger Badet : Il y a parmi les chirurgiens orthopédistes français des personnes qui sont en difficulté. Depuis plusieurs années le CNP-COT et Orthorisq réalisent des enquêtes pour essayer de mieux comprendre et de mieux prendre en charge ce problème. Les premières enquêtes, montraient qu’environ 30% de notre population et de notre communauté, présentait des difficultés et avait des signes de dépression qui pouvaient aller jusqu'au burn-out. 
Lors de la table ronde QVCT qui va avoir lieu à la SoFCOT 2024, sous la direction du Dr Philippe Tracol, nous présenterons les résultats de l’enquête Orthorisq de cette année en abordant les choses de façon très transversale

Cela concerne tous les âges ? 

RB. Oui, tous les âges sont touchés avec des sources de préoccupation qui peuvent être différentes. 
Pour les internes, la formation peut générer du stress. L’apprentissage du métier de chirurgien se fait parfois dans des conditions qui peuvent être difficiles. Les plus jeunes sont confrontés à des évènements inhabituels pour eux qui les confrontent aux patients à leurs familles et à leur inexpérience.
Pour les docteurs juniors et les jeunes installés, les préoccupations sont souvent directement liées à leur manque d’assurance et à l'installation, au fait qu'il va falloir voler de leurs propres ailes avec des responsabilités professionnelles, familiales et économiques… Cela peut être en soi un facteur de stress et de déséquilibre. 
Lors de la vie professionnelle le chirurgien doit faire face aux réalités de son exercice qui l’exposent à des facteurs de stress professionnel en relation avec la gestion du patient et des équipes. 
Pour les chirurgiens plus âgés, en fin de carrière, il faut envisager l’arrêt de leur activité, appréhender l’après, ne pas se sentir inutiles. A tous les moments de la vie, il peut donc y avoir des difficultés.

« La société professionnelle (CNP-COT) a souhaité organiser et proposer une prise en charge aux membres de sa communauté qui sont en difficulté en explorant des solutions thérapeutiques et préventives »

Quelles sont les plus grandes difficultés des chirurgiens orthopédistes ?

RB. Nous sommes dans un écosystème et dans un environnement très spécifique qui peut favoriser une mauvaise qualité de vie au travail et entraîner un mal-être. Les causes sont souvent multifactorielles : Il y a des facteurs personnels et professionnels qui se cumulent les uns aux autres pour aboutir à une situation de déséquilibre.
Face à ce constat, la société professionnelle (CNP) a souhaité organiser et proposer une prise en charge aux membres de sa communauté qui sont en difficulté en explorant des solutions thérapeutiques et préventives. 
La prise en charge thérapeutique va proposer des solutions simples et facilement accessibles de prise en charge médicale et d’écoute. Le CNP-COT va officialiser d’ici le mois de novembre prochain un partenariat avec une cellule d’écoute et de support déjà active pour d’autres spécialités médicales sur laquelle pourrons venir s’appuyer les praticiens en difficulté.
Mais il y a aussi la détection. Il faut travailler en amont, être dans une démarche d'écoute, et permettre aux chirurgiens de s’évaluer, avec des questionnaires, des débats… que ce sujet soit librement abordé sans tabou et sans non-dit
Il faut bien sûr, améliorer la prévention. Dans nos études, on ne nous apprend pas à être attentif et à l’écoute de nos propres problèmes, à savoir détecter les éléments qui devraient nous alerter, pour pouvoir lever le pied ou aller consulter. Nous réfléchissons à mettre en place des éléments de formation destinés aux internes et aux chefs de clinique afin de les sensibiliser à cela.
Un bon point, c’est qu’avec la nouvelle certification périodique, ou chaque chirurgien doit répondre à des obligations pour pouvoir exercer son métier, une nouvelle obligation concerne la santé du médecin qui va devoir faire la preuve de son suivi médical régulier. Jusqu’ici les orthopédistes étaient souvent leur propre médecin traitant référent devant la Sécu. Mais quand on ne va pas bien, c'est un non-sens, car on est seul et on s’enferme.

« C’est probablement encore plus difficile pour un chirurgien d’accepter qu’il va mal, qu’il est atteint psychologiquement »

Est-ce que pour vous, la pratique chirurgicale, avec toutes ses responsabilités est un élément aggravant du mal-être ?

RB. Notre métier est compliqué, dans la mesure où on touche à l'humain. Quand quelque chose ne se passe pas bien, ça renvoie à des difficultés avec le patient et sa famille et il plane toujours la possibilité d’une erreur et à une remise en question du chirurgien et de son équipe. La chirurgie est un métier de décision : du moment où l’on voit le patient en consultation, jusqu’au moment où on l’opère, et ensuite dans son suivi, on est dans la décision permanente. Et le plus souvent, la prise de décision est solitaire. Celui qui décide, celui qui annonce, c'est le chirurgien. On a la tête dans le guidon tout le temps et on se préoccupe finalement beaucoup des autres et peu de nous et de notre santé.

Il y a peut-être aussi une culture du “tout va bien” chez les chirurgiens ?

Oui d’une façon générale il n’est jamais facile d’admettre qu’on ne va pas bien. C’est probablement encore plus difficile pour un chirurgien, qui par son statut est dans une position de leader décideur, d’accepter qu’il va mal, qu’il est atteint psychologiquement. On est souvent dans le déni. C’est ainsi qu’une partie de notre population peut être victime de dépression profonde ou de burn-out. Et là, tout s'effondre : difficile, voire impossible de sortir de cette situation sans aide. D’où l’intérêt de proposer aux chirurgiens orthopédistes français dans la prise en charge de la QVCT des structures et des personnes sur lesquelles se reposer. 

« Prendre soin des orthopédistes français c'est un travail et une préoccupation du CNP-COT au jour le jour, la SoFCOT à travers le congrès, est le moment privilégier pour échanger »

Le message de cette table ronde, c’est de dire aux chirurgiens : vous avez le droit d’aller mal ? 

C'est un des aspects sur lequel on va insister. Nous sommes des soignants, notre travail est de nous occuper de patients qui vont mal et il va de soit pour les patients et nos équipes que nous allons toujours bien : qui irait consulter pour se faire opérer par un chirurgien dépressif, qui va mal ? Nous allons aussi mettre l’accent sur le côté prévention. On réfléchit à savoir comment, dans la formation des plus jeunes, les sensibiliser sur le fait qu’il peut y avoir des passages à vide, qui peuvent les amener à rentrer dans des dépressions profondes qu’il faut savoir reconnaître. A partir du moment où on est éduqué, on comprend mieux et on réagit mieux.

https://www.sofcot-congres.fr/fr/

Qui seront les intervenants de la table ronde ?

Deux chirurgiens, un jeune et un plus âgé, partageront leur retour d'expérience. Un psychiatre sera là pour expliquer le point de vue médical, quels sont les signes et comment envisager la prise en charge. Un sociologue mettra en place le cadre de la discussion, car la QVCT, ce n'est pas la dépression. La qualité de vie au travail dépend de ses conditions de travail, de ses conditions économiques, de la façon dont on envisage sa profession et comment on gère les difficultés. Au CNP on travaille pour la qualité de vie sous tous ses aspects : les finances, l'organisation au bloc opératoire, l'information et la formation des internes et des chefs de clinique, la formation des IBODE, avec les tutelles, tout ce qui va constituer à la mise en place d'un écosystème qui soit le plus favorable dans l’exercice professionnel des orthopédistes français. Donc améliorer la QCVT, ça peut être, par exemple, agir sur le caractère économique, le CNP travaille beaucoup, sur la valorisation des actes, sur les nomenclatures à faire évoluer…
Prendre soin des orthopédistes français c'est un travail et une préoccupation du CNP-COT au jour le jour, la SoFCOT à travers le congrès, est le moment privilégier pour échanger avec notre communauté sur ce point : venez nombreux pour discuter et témoigner et pour construire ensemble l’avenir de notre profession.

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