Urgences de Nantes : « Sans lit en début de garde, on fait comment ?! »

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Florian Vivrel, 33 ans, médecin urgentiste au CHU de Nantes et CH de St-Nazaire est mobilisé depuis fin avril 2019. La direction du CHU a fait pression sur lui pour qu’il arrête de soutenir le mouvement de grève. Un coup de pression qui ne l’a pas calmé, bien au contraire.

Urgences de Nantes : « Sans lit en début de garde, on fait comment ?! »

« Nous voulons récupérer notre hôpital ! », « Les patients sont en danger ! ». Les urgentistes grévistes ne sont pas très nombreux à se retrouver devant la Préfecture de Nantes, ce jeudi matin. Pas à cause de la pluie, mais parce que les urgences continuent à tourner normalement pendant ce temps-là.... Un paquebot impossible à stopper. Les passages aux urgences de Nantes ont augmenté de 23% en dix ans, pour atteindre plus de 82 000 aux urgences adultes en 2018. « Les effectifs ont augmenté de façon proportionnelle à l’activité. Depuis 2013, 25 postes ont été créés. L’effectif médical est au complet », souligne-t-on à la direction du CHU. Insuffisant néanmoins pour travailler dans de bonnes conditions, comme l’explique Christophe Le Tallec, aide-soignant et vice-président du collectif national inter-urgences. « Nous avons besoin d’une hôtesse d’accueil le dimanche, de postes supplémentaires d’aide-soignant et d’IDE et de renforts sur le circuit debout », explique-t-il.

« Les annonces de Buzyn ne suffisent pas ! »

« Tout ce qui a été proposé par Agnès Buzyn en termes organisationnels, on l’a déjà aux urgences de Nantes, mais ça ne suffit pas ! On a notamment un CAPS adossé aux urgences mais ça n’a pas diminué le nombre de passages. » Et si une « indemnité forfaitaire de risque » de 100€ net a été allouée à l’ensemble du personnel en juillet dernier, on est loin de l’augmentation de salaire de 300€ net par agent demandée depuis des mois par les grévistes.

À Nantes, il manque surtout des postes d’IDE et d’aides-soignants, précisément 16 ETP selon le référentiel Samu/Urgences. Les effectifs en personnel médical sont en revanche pourvus et l’intérim médical n’est pas un problème. La situation est beaucoup plus critique aux urgences de Saint-Nazaire (et à Challans, Ancenis), où il manque plusieurs médecins. « Côté médecins, on n’est pas nombreux ce matin. J’ai essayé de relayer les infos mais ça ne prend pas, malgré les préavis de grève déposés par l’AMUF, la CGT et FO. Dès le mois de mai, ma chef de pôle m’a demandé de ne plus diffuser d’informations relatives à la grève sur l’intranet. Après avoir participé à une interruption de CHSCT en juin dernier, ma directrice de thèse m'a appelé pour me dire que j’étais en train de me brûler les ailes. Mon chef de service m’a également convoqué pour me demander d’arrêter de souffler sur les braises », témoigne Florian. A un moment, il reconnaît avoir même eu peur de se faire « virer ». Sans être très inquiet, au fond, sur sa capacité à retrouver un poste ailleurs…

« On travaille en nuit profonde »

En neuf ans, comment a-t-il vu la situation évoluer aux urgences de Nantes ? « On a augmenté la taille de l’éponge : il y a eu des recrutements médicaux et paramédicaux. Donc la durée d’attente des patients a diminué. Par moment, on a l’impression de moins souffrir qu’il y a neuf ans. Mais dans le cadre du transfert du CHU sur l’île de Nantes, une suppression de 350 lits est prévue. Comment allons-nous faire alors que déjà, quand on commence nos gardes aujourd’hui, il n’y a pas de lit disponible ?! », s’inquiète Florian.

Sans parler du pic de passage hivernal, pendant lequel le service déborde de partout… Par ailleurs, le vieillissement de la population va poser de sérieux problèmes à Nantes, comme ailleurs, surtout sans ouverture de SSR ni d’Ehpad. Les cadences augmentent inexorablement. « Entre 18 heures et minuit, j’ai en moyenne une quinzaine de patients à gérer en même temps. J’accélère sur mes prises en charge, sinon je ne m’en sors pas. Quand je vois des urgentistes avec 20 ans d’ancienneté aller se coucher à 6 heures du matin, alors qu’ils ont pris leur garde à 8h, ça montre bien que la pénibilité est de plus en plus lourde, tout particulièrement la nuit. »

Quitter le navire, ou pas ? 

Envisage-t-il de quitter les urgences, comme l’ont fait un certain nombre de ses confrères ces dernières années ? [119 démissions de médecins urgentistes en 2018, ndlr]. « J’y pense tous les jours parce que nos conditions de travail se dégradent depuis 10 ans. Mais je continue à aimer ce métier. Et la mobilisation de ces derniers mois m’a permis de relever la tête, d’attirer l’attention sur nos difficultés. Ca a redonné du sens à mon travail », répond Florian. Par le passé, il a eu des périodes de découragement et d’interruption d’activité. Investi par ailleurs dans la prise en charge du VIH et des missions humanitaires, il a alors testé les vacations. « Là, j’ai vu que je pouvais gagner 50% de plus que mon salaire actuel en travaillant seulement 24 heures par semaine ! Mais ça n’avait pas de sens pour moi de faire ma garde, prendre mon gros chèque et me barrer. La vie de service me manquait. J’ai repris un poste. » L’intérim médical, vieille roue de secours de l’hôpital et creuset des inégalités de traitement, contre lequel la ministre de la Santé a annoncé qu’elle allait lutter.
 
 
 
 
 
 

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