Ouvrir un droit à mourir, est-ce ouvrir la boîte de Pandore ?

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L’un des arguments les plus débattus d’une législation sur la fin de vie est celui du pied dans la porte : un droit à mourir accordé dans certaines situations bien définies serait appelé à s’étendre à des cas de figure toujours plus nombreux. Mythe ou réalité ?

Ouvrir un droit à mourir, est-ce ouvrir la boîte de Pandore ?

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« Je pense qu'on a ouvert une boîte de Pandore qui est dangereuse. » Ainsi réagissait la députée du camp présidentiel Maud Bregeon en mai 2024, alors que la précédente Assemblée discutait le défunt projet de loi sur la fin de vie et avait notamment supprimé la condition d’avoir un « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » pour pouvoir en bénéficier. Il est vrai que les débats sur la fin de vie font souvent surgir le mythe grec de Pandore, la première femme humaine, celle qui ouvrit la fameuse boîte (que Zeus lui avait interdit d’ouvrir)… libérant les calamités : de la guerre à la vieillesse, en passant par la maladie. En d’autres termes, il y a des interdits qui fonctionnent comme des piliers de la société, et dont l’effondrement entraînerait celui du système tout entier.

Un argumentaire auquel les soignants ont fréquemment recours. « Nous sommes inquiets des applications et des dérives possibles » d’une nouvelle législation sur la fin de vie, déclarait en mai dernier le Dr Sophie Moulias, gériatre à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt, AP-HP) et membre de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), lors d’une audition au Sénat sur la fin de vie. Elle s’appuyait notamment sur le cas de la Belgique où, soutenait-elle, « beaucoup de médecins » pratiquent des euthanasies mais « administrativement, ne les déclarent pas tout le temps », sachant que la pratique est autorisée.

« Toute loi est incitative, sur tous les sujets »

Dr Jean-Marie Gomas, co-fondateur de la SFAP

Le mécanisme qui engagerait à toujours pousser plus loin les barrières de la mort assistée serait même, selon certains praticiens, intrinsèquement lié à la nature humaine. « Toute loi est incitative, sur tous les sujets », estime ainsi le Dr Jean-Marie Gomas, qui compte parmi les fondateurs de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), et selon lequel toute nouvelle possibilité offerte par la législation est automatiquement poussée à son maximum. « Par ailleurs, tous les pays qui ont ouvert la voie au suicide assisté élargissent les critères, ne respectent pas leurs propres lois », ajoute-t-il, citant entre autres exemples celui des délais avant l’injection létale non respectés en Belgique, celui des euthanasies pour des couples dont un seul membre est malade aux Pays-Bas, ou encore celui de la proportion jugée alarmante du nombre de décès par euthanasie au Canada…

Cas exceptionnels vs Omerta 

« Cela fait longtemps que les opposants à une loi sur la fin de vie mettent en avant, de manière projetée, un imaginaire systématique sur de potentielles dérives, commente de son côté le sociologue Philippe Bataille, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. Ils prennent souvent appui sur des exemples étrangers qui parfois datent de plus de 20 ans, comme l’augmentation rapide des chiffres au Québec, ou sur des cas exceptionnels comme l’euthanasie d’une mineure souffrant de troubles psychiatriques en Belgique. » 

Or selon lui, loin d’encourager les dérives, la loi permet au contraire de fixer des bornes, et prétendre qu’une loi sur l’aide à mourir encourage les dérives est une erreur logique. « Ce n’est pas parce que l’homicide est interdit par la loi que cela justifie le crime », résume-t-il.

Mais il en faudrait davantage pour convaincre ceux qui craignent des dérives jugées inévitables. « Il n’est pas normal qu’on balaie d’un revers de main des cas qui, d’ailleurs, sont de moins en moins exceptionnels », argue Jean-Marie Gomas. Et le praticien de dénoncer une « omerta » dans un pays comme la Belgique, où l’euthanasie est pratiquée depuis plus de 20 ans, et où le scandale de santé publique qu’elle représente selon lui reste largement tu, en raison d’un silence complice de la part des médias.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/magazine/66

Des arguments récusés par Philippe Bataille, qui rappelle qu’en Belgique comme dans les autres pays où une forme de mort assistée est légale depuis longtemps, il existe « des dispositifs de contrôle, d’évaluation, de recours », et que les parlementaires, par exemple, y sont particulièrement vigilants à la bonne application de la loi. « Il peut arriver qu’une situation exceptionnelle touche aux bornes que la loi a établies, que cela provoque même des discussions sur ces bornes, mais cela ne signifie pas qu’il faut les éliminer. » Reste que la discussion a toutes les chances, pour un temps du moins, de rester un dialogue de sourds.

3 commentaire(s)
Lyonel B Médecine générale 3 novembre 2024 12:06

Les chiens n'ont pas beaucoup d'avantages sur les humains, mais l'un d'entre eux est extrêmement important : l'euthanasie n'est pas interdite par la loi dans leur cas; les animaux ont droit à une mort miséricordieuse.

- Milan Kundera

Lyonel B Médecine générale 3 novembre 2024 12:11

Comment refuser à des malades éprouvant les affres et l’irréversibilité de leur condition d’aspirer légitimement à ne pas être spectateurs  de leur dégradation et à ne pas la faire subir aux autres ?»
( Académie de chirurgie )

Lyonel B Médecine générale 3 novembre 2024 12:17

Toute personne,

  • atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique,
  • ( ou de polypathologie ),
  • incurable ou à tendance invalidante et incurable,
  • infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable qu’elle juge insupportable
  • ou la plaçant dans un état de dépendance qu’elle estime inacceptable,
  • même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance,
  • pourrait demander à bénéficier d’une aide active à mourir.

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