"Nous avons des difficultés pour prendre en charge tous les patients"

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Infectiologue au centre hospitalier de Cayenne, le Dr Loïc Epelboin revient pour WUD sur l'explosion de l'épidémie de Covid19, ainsi que ses corrolaires : la polémique autour de Coviplam, mais aussi l'arrivée de médecins cubains...

"Nous avons des difficultés pour prendre en charge tous les patients"

WUD. Quelle est la situation épidémique en Guyane ? 

Dr LoÏc Epelboin. Aujourd’hui nous sommes à un peu moins de 4300 cas identifiés en Guyane, il y a probablement une grosse sous-estimation car il y a plein de Guyanais qui ne sont pas dépistés. Hier (1er juillet, NDLR), il y avait 130 patients hospitalisés sur toute la Guyane, et une vingtaine en réanimation. Jusqu’à présent, il faut compter 16 décès, et le taux de mortalité n’est finalement pas très élevé, il est autour des 0,3%. En ce qui concerne les hôpitaux, c’est tendu sur tout le territoire. Il n’y a pas de saturation à Saint-Laurent, mais à Cayenne la situation est très tendue. Nous y avons ouvert plusieurs unités Covid, nous avons plus de 80 lits. Le turn over est très important car nous avons 15 à 20 patients qui arrivent tous les jours à l’hôpital, aux urgences. Nous avons des difficultés pour prendre en charge tous les patients, tout en maintenant toutes les mesures d’hygiène afin d’éviter que les soignants ne soient contaminés. Depuis quelques jours, un hôpital de campagne est positionné en dehors de l’hôpital. Il est censé prendre en charge les patients non covid. Cet hôpital peine pour le moment à trouver sa place, car il n’y a pas tant de patients Covid que cela.

Des cas ont commencé à apparaitre à la frontière brésilienne

WUD. La courbe du nombre de cas est toujours ascendante ? 

Dr L. E. Oui, actuellement il y a entre 170 et 200 nouveaux cas chaque jour à peu près. Nous attendons un pic qui devrait survenir autour du 15 juillet. 

WUD. De quand date l’explosion de l’épidémie ? Comment l’expliquer ? 

Dr L. E. L’explosion de cette épidémie est due à un certain nombre de facteurs cumulés. Le confinement a permis une raréfaction des vols entre mi mars et mi mai. Nous avons déconfiné comme tout le monde mi mai et des cas ont commencé à apparaitre à la frontière brésilienne du côté de Saint-Georges. Il faut aussi s’imaginer que la frontière n’est rien d’autre qu’un immense fleuve qui sépare la Guyane du Brésil, avec des Guyanais et des Brésiliens qui vivent à cheval sur la frontière… Il y a eu beaucoup de dépistage, d’isolement, à Saint-Georges, mais comme partout l’on a retrouvé de nombreux autres cas en Guyane, principalement provenant du Brésil ou en contact avec des gens provenant du Brésil, et ça a commencé à flamber. Il y a maintenant une croissance exponentielle du côté de Cayenne. De nombreux cas graves ont commencé à apparaitre il y a deux, trois semaines, qui nécessitent d’être hospitalisés, qui ont besoin d'oxygène…

WUD. Quel est l’état d’esprit des médecins hospitaliers ? 

Dr L. E. Un certain nombre de process ont été anticipés mais ce n’est pas pour autant facile en ce moment. Nous sommes en souffrance en matière de ressources humaines, principalement paramédicales. Au niveau médical, la réserve sanitaire n’a pas été très utile, nous avons plutôt fait appel à nos réseaux de réanimateurs, d’infectiologues et de médecins volontaires, si bien que de nombreux renforts sont arrivés ces derniers jours, pour nous aider à prendre des patients. Mais le renfort est plus difficile au niveau paramédical, infirmiers, aide-soignants : pour cette raison, nous faisons tourner avec beaucoup de difficultés les salles, que ce soit ici ou à Saint-Laurent. 

Nous sommes en souffrance en matière de ressources humaines, principalement paramédicales

 

WUD. Les personnels de la réserve sanitaire sont-ils arrivés ? 

Dr L. E. Oui, cela fait un mois que nous avons des personnels provenant de la réserve sanitaire. Ils ont fait dans un premier temps du dépistage de masse du côté de la frontière brésilienne, à Saint-Georges.. Maintenant le personnel de la réserve a été redéployé dans les différents services de l’hôpital… 

WUD. On parle aussi de l’arrivée de médecins cubains ?

Dr L. E. C’est un peu une Arlésienne, cela fait des années que l’on en parle. Un certain nombre de personnes les considèrent comme la solution miracle. Nous, on aimerait en savoir un peu plus : ces médecins cubains sont-ils des généralistes ? Des hospitaliers ? Des francophones ? Quelles sont leurs spécialités ? Leurs compétences ? On n’en sait rien. 

WUD. Que penses tu de la polémique qui a suivi l’annonce de l’installation de l’essai clinique Coviplasm en Guyane ? 

Dr L. E. C’est difficile, je ne comprends pas toutes ces réactions politiques, ainsi que sur les réseaux sociaux. Il faut savoir que depuis l’explosion de l’épidémie en Guyane, et l’écho médiatique qui s’en est suivi, nous avons été contactés par un certain nombre d’équipes de recherche qui testent des traitements antiviraux, ou encore la thérapie par le plasma… Nous avons donc été sollicités avec pour objectif de pouvoir faire bénéficier aux Guyanais des traitements les plus avancés. L’étude Coviplasm de Karine Lacombe fait partie de celles pour lesquelles nous avons été sollicités. Donc nous n’avons pas très bien compris la réaction que cela a suscité. Certains politiques ont dit qu’ils n’ont pas été informés : mais nous menons plein d’essais cliniques sans informer ! Les gens ont peut-être pensé que l’on allait tester sur les populations guyanaises qui pourraient mal se défendre des traitements dangereux… On a entendu : « on ne veut pas servir de cobayes pour la métropole », mais cela n’a rien à voir, ces traitements ont aussi été testés en métropole. On proposait aux populations guyanaises de pouvoir bénéficier de ces traitements de manière volontaire, ce n’est pas imposé. Cette réaction nous a désemparé. Ce qui a été mis en cause, c’est un défaut de communication…

WUD. L’essai clinique va-t-il se tenir ? 

Dr L. E. Pour le moment, ça n’a pas encore été validé, mais nous l’espérons bien, car c’est pour le bénéfice des patients les plus sévères hospitalisés chez nous. 

WUD. Parallèlement les hommes politiques qui se sont opposés à cet essai clinique veulent relancer l’usage de l’hydroxychloroquine en Guyane ? 

Dr L. E. Il semblerait que le président de la communauté territoriale de Guyane a eu une visioconférence avec le Pr Raoult hier le (1er juillet, NDLR), et leur a conseillé de poursuivre l’hydroxychloroquine. Nous n’avons pas d’a priori sur l’hydroxychloroquine. Mais la grande majorité des études qui ont été publiés ces dernières semaines concluent en l’absence de bénéfice de l’hydroxychloroquine, en tous les cas sur les patients sévères. Un grand nombre de patients en Guyane ont pris de l’hydroxychloroquine au moment où on ne savait pas encore si c’était efficace. Le doute a bénéficié aux malades, de nombreux patients ont reçu de l’hydroxychloroquine. 

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