Nicole ni soumise - Critique de « Babygirl », de Halina Rejn

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Romy, PDG d’une entreprise en pleine expansion, semble avoir tout pour être heureuse. En s’engouffrant dans une liaison avec un stagiaire à l’écoute de ses fantasmes et enclin à lui permettre de les réaliser, elle va cependant risquer de tout perdre. Mais que cherche-t-elle réellement ?

Nicole ni soumise - Critique de « Babygirl », de Halina Rejn

Nicole Kidman et Harris Dickinson dans Babygirl de Halina Reijn.

© DR.

En annonçant vouloir renouveler le genre du suspense érotique à l’aune du néoféminisme, Halina Reijn témoigne de façon saisissante, et probablement involontaire, de la laideur de notre époque. 

Babygirl est à classer dans la catégorie des films qui tirent leur intérêt non pas de leur contenu proprement dit, mais de ce qui est à sa périphérie, le contexte plus que le sous-texte. Constamment sur le fil du rasoir - rasoir, le film l’est d’ailleurs bien souvent  -, sur une ligne de crête entre le grotesque et le vénéneux, il tire précisément son intérêt de cet entre-deux là, d’une forme de zone grise qui résiste au moins partiellement à ce que l’on voudrait bien conclure sur son dos.

« Un Fifty Shades of Grey amélioré par la caution respectable et intello de sa star, Nicole Kidman, qui donne tout »

Le texte tient en deux lignes, un Fifty Shades of Grey amélioré par la caution respectable et intello de sa star qui donne tout, le feu sous la glace, le numéro d’équilibriste d’une Nicole Kidman qui, par son audace et sa tranquille assurance, réussirait presque à faire passer cette histoire pour ce qu’elle n’est pas, ce banal trip sexuel au sein d’une tout aussi banale relation de pouvoir, avec toute la dose de ridicule qu’il y a à se fader, à partir d’une seule idée étirée jusqu’à plus jouir, les fantasmes un peu tarte d’une maîtresse femme en mal de se faire dompter. 

Le sous-texte n’est guère plus convaincant, qu’il soit psychologisant ou socialisant, les racines marxistes ultra-rebattues de la sexualité freudienne se heurtent au point de vue confus de la réalisatrice sur la perversion sexuelle qu’elle décrit, entre une petite dose de déstigmatisation et un sursaut de moralisme dans la dernière ligne droite. On mettra à son crédit le portrait plus original qu’à l’accoutumée du caractère masculin, interprété par un Harris Dickinson toujours très à l’aise pour capter et incarner l’époque, et qui dans le souhait avant tout de révéler sa partenaire à elle-même pour mieux se connecter à son propre désir, offre un peu de luminosité et de rondeur à ce film tout en arêtes et angles droits. 

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Car c’est bien ce que l’on retient de ce Babygirl au final : une froideur grisâtre, une géométrie de la vitre comme vitrine et comme prison, une pandémie de l’enfermement avec vue à 360 degrés sur l’atonie de l’époque, le productivisme à l’ère d’Amazon, au sein de laquelle battre des records de livraison constitue une révolution. La réalisatrice déploie une telle opiniâtreté à exposer le fonctionnement de ce microcosme bourgeois de l’Upper East Side, la distance entre ces êtres qui ont substitué les soirées d’entreprise aux fêtes et réunions de famille, la façon dont les commandements du capitalisme se recyclent et se perpétuent dans un féminisme de vitrine, qu’elle finit par vomir l’environnement au sein duquel évolue une Romy condamnée à demeurer dans une forme de captivité qui n’est pas sans rappeler l’aride Shame de Steve McQueen. En témoigne ce dernier plan, à la fois en rappel et en trompe-l’œil de l’introïtus. C’est la façon dont Halina Reijn utilise le dégoût pour susciter notre empathie qui donne sa valeur à un film au final bien plus misanthrope que féministe. 

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