Mauvais sang

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À la Fac, il y a eu ces affiches un jour : « Faculté de médecine — Don du sang ». J'y suis allé sans me poser aucune question.

Quand ce fut mon tour, je tendis le formulaire qu’on nous avait remis...

Mauvais sang

— Pas de problème ?

— Euh... si... je suis gay, je ne peux pas être donneur alors ?

— Ah non, désolée.

— Mais, je me suis toujours protégé...

— Ça ne change rien. C'est comme ça. On ne veut prendre aucun risque.

Et je suis donc reparti. Moitié colère, moitié humilié.

C'était en 1992.

En 2013, la loi n’a pas évolué. Les gays ont l'interdiction de donner leur sang ou leur moelle osseuse.

La majorité des autres pays a le même usage. Certains ont opté pour des limitations plus nuancées. Seules l’Espagne et l’Italie ont abandonné toute restriction.

Pourtant, les études qu'invoquent les décideurs politiques sont pour la plupart très discutables et déjà datées dans un domaine qui connaît des évolutions technologiques constantes. Surtout, elles se fondent sur des calculs théoriques sans se confronter à ce qui se produit réellement, par exemple dans les pays qui ont renoncé à cette discrimination.

Si le risque résiduel est actuellement évalué, sur des bases théoriques, à 1 pour 3 millions de transfusions, dans la réalité, les Américains ont décrit en 2008 le premier cas de contamination identifié depuis 2002. Alors même que les USA pratiquent 14 millions de transfusions par an.

L'Établissement Français du Sang, pour justifier cette exclusion, invoque une prévalence effrayante de 17,7 % du VIH parmi « les homosexuels masculins ». Point. Ni nuance ni précision.

Ces chiffres se fondent sur une enquête réalisée « au sein de la population (…) qui fréquente des établissements gays parisiens (bars, saunas, backrooms). »

Qu’on étende à tous les homos de France des chiffres récupérés dans des backrooms parisiennes, ça ne choque que moi ?

Qu’est-ce qui fait le risque ? L'orientation amoureuse ou bien les pratiques sexuelles ?

Quand on interroge « Avez-vous eu des rapports avec un autre homme ? », on est bien obligé de faire confiance aux réponses des gens. Pourquoi les homos mentiraient-ils davantage si on leur demandait simplement s'il y a eu un changement de partenaire récent ?

C’est bien ça qui nous intéresse si on veut limiter le danger.

Le don du sang est gratuit, ceux qui y participent le font par altruisme. Comment imaginer qu'ils proposeraient de donner leur sang en sachant qu'ils ont eu une conduite à risque dès lors que la définition de ces conduites est suffisamment précise, compréhensible, sérieuse et validée ?

À moins qu'il ne s'agisse pour les décideurs de faire oublier « l'affaire » et d’offrir l'illusion que toutes les mesures nécessaires sont prises.

Le don du sang, le don de moelle sauvent des vies. Faire ce don est un geste de générosité et, sans raison valable, il n'est pas normal de stigmatiser ainsi des donneurs potentiels. À quand la fin de cette discrimination idiote, nuisible et qui n'est plus fondée sur des preuves scientifiques ?

 

*Dr Borée est le pseudo d’un médecin généraliste de campagne, bloggeur médical patenté et auteur de textes publiés dans l’ouvrage « Loin des villes, proche des gens, Chronique d’un jeune médecin de campagne », City Editions, 2012.

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