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Un film qui illustre combien, dans le parcours judiciaire, l'intérêt de l'enfant est percuté par d'autres impératifs et la parole de la victime constamment fragilisée. On vous croit... et après ?
« On vous croit ». Un film belge, un titre qui reprend le positionnement fondamental d'une commission française, la CIIVISE. Une promesse qui devrait être suivie d'engagements sans appel, non pas dans le meilleur des mondes, mais selon la plus simple des logiques. Cette oeuvre à la précision métronomique montre pourtant combien le droit civil, parce qu'il a été conçu autour des notions de famille, de transmission, de legs, de lien, dans une perspective de sécurisation patrimoniale, peut parfois entrer en contradiction avec la protection des personnes. Et c'est parce que cette aporie croît avec la vulnérabilité de celles-ci qu'elle est si choquante.
Charlotte Devillers, qui s'inspire de sa propre expérience et de sa propre histoire pour narrer le combat de cette mère, choisit une situation paradigmatique pour montrer jusqu'à quel terrible absurde la logique peut se déployer : alors que l'on sait combien il est difficile de révéler un inceste, et à quel point les plus proches sont particulièrement enclins au déni ou au refus de croire, une mère qui ose être le porte-parole de son enfant peut pourtant rapidement se retrouver suspecte, psychiatrisée au moyen de tout un arsenal théorique d'un autre âge mais toujours vivace parmi les experts judiciaires. Parce que la situation de ces mères protectrices condense tragiquement les failles de la société face à l'inceste, pourtant régulièrement qualifié d'interdit fondamental, la CIIVISE a choisi de les mettre au centre de son premier avis, dès 2021. Alice tâche ainsi, dans une lutte exténuante, de protéger ses enfants de leur père, de la traumatisation secondaire, de leur exposition à son désarroi, de l'inquiétude permanente.
La parole comme arme, plus que comme récit
Le cinéma n'est jamais aussi utile que quand il aborde une problématique complexe ou méconnue. Le biais de la fiction crée souvent la distance adéquate pour en saisir les enjeux. Il fallait la force d'un dispositif cinématographique particulièrement resserré pour illustrer la tension et représenter l'enfermement mental occasionnés par les sentiments de solitude et d'impuissance ultimes. Pour décrire, également, la fragilité de la procédure judiciaire face aux paradoxes qu'elle auto-engendre. L'audience au coeur du récit rappelle ainsi, en beaucoup plus étiré, la scène d'ouverture du magistral et encore plus dur Jusqu'à la garde, auquel on ne peut s'empêcher de penser. Alors que la centration particulière sur les éprouvés de la mère, interprétée par une Myriem Akheddiou constamment juste, constitue un écho au bouleversant et tout aussi immersif En première ligne. La parole professionnelle ininterrompue devient ainsi, par l'illustration de sa réception, une lame de fond plus que le bruit de fond lancinant qu'elle paraît être.
Le procédé, qui permet de tout contenir et duquel rien jamais ne dépasse, joue parfois contre lui-même, tant la mécanique implacable, parce qu'elle se déploie sur une telle unité de lieu et en un temps si resserré, reprenant les codes de la tragédie, finit par évacuer toute complexité. Cette impression est amplifiée par le choix de la dichotomie entre les auxiliaires de justice exemplaires et ceux proches de la caricature. En faisant tout reposer sur la parole, le film laisse de côté ce qui va nécessairement au-delà, et qui n’est ni dit ni montré. Au risque de rendre la puissance de feu de l’argumentaire plus asphyxiante que la situation qu’il décrit. Une force qui est aussi une limite.