L'interview à la carte : le Dr Francoise Sivignon

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Radiologue et médecin humanitaire, le Dr Francoise Sivignon a quitté la présidence de Médecins du Monde après trois ans de bons et loyaux services. Trois années durant lesquelles l'ONG s'est montrée particulièrement pugnace sur le terrain, mais aussi dans les médias. Trois années au bout desquelles les convictions de cette femme au parcours atypique restent plus fortes que jamais : faire de l'humanitaire, c'est (aussi) faire de la politique.

L'interview à la carte : le Dr Francoise Sivignon

What's up Doc. La présidente d'ONG que vous êtes n'en est pas moins radiologue, une profession qui est beaucoup montée au créneau à propos de la tarification ces derniers temps. Qu'en pensez-vous ?

Françoise Sivignon. Pour être franche, je suis désormais de très loin ce qui se passe dans le secteur de la radiologie. Je ne sais pas grand-chose de ces questions, même si je suppose que la profession juge que les tarifs sont insuffisants (rires). Le seul contact que j'ai eu récemment avec les radiologues, c'est lorsqu'ils m'ont invitée à intervenir aux Journées françaises de radiologie en octobre dernier pour parler de mon parcours. J'ai été fascinée par les progrès fulgurants de l'imagerie et par tout ce que l'intelligence artificielle peut apporter.

WUD. Comment vous êtes-vous engagée dans ce métier dont vous reconnaissez être un peu éloignée aujourd'hui ?

FS. J'ai grandi à Nevers, ville que je trouvais un peu... calme. J'ai passé mon bac à 16 ans, j'avais envie de quitter la province, et j'avais deux options : sciences politiques ou médecine. Il se trouve que l'été qui a précédé le concours de Sciences-Po, je n'ai pas travaillé (rires). Je me suis donc retrouvée en médecine à Cochin au milieu des années 70. J'ai beaucoup aimé ces études, l'environnement, le contact avec les patients…

WUD. Et pourquoi avoir choisi la radiologie ?

FS. J'hésitais entre anesthésie et radiologie, deux spécialités qui m'attiraient notamment parce qu'elles donnent beaucoup de liberté pour bouger. Mais j'avais peur de m'ennuyer en anesthésie. On était souvent derrière un drap, je trouvais que le contact avec les personnes n'était pas suffisant. Je me suis donc orientée vers la radiologie, et j'ai surtout fait de l'échographie. C'est un examen où on est en lien direct avec la personne. C'est aussi un examen chargé d'angoisse, les patients se rendent compte qu'on va regarder à l'intérieur d'eux-mêmes... On prend donc le temps, il faut être rassurant, travailler en confiance, savoir dire la vérité... Ce sont des aspects que j'ai beaucoup aimés.

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WUD. Et dans quel cadre avez-vous pratiqué une fois diplômée ?

FS. J'ai fait beaucoup de digestif. Il se trouve que le début de ma carrière a coïncidé avec l'arrivée de l'épidémie de VIH en France, vers 1985. Je me suis tout de suite intéressée aux associations de lutte contre le Sida. J'ai trouvé qu'elles portaient cette pathologie, qui était alors extrêmement stigmatisée, d'une manière extraordinaire. Les patients affirmaient leur besoin de savoir ce qui leur arrivait, de quels traitements ils pouvaient bénéficier... Cet engagement, y compris de la part du corps médical, était vraiment une nouveauté.

Retrouvez en vidéo La Consult' de Françoise Sivignon

WUD. Quel rôle jouait la radiologie dans la prise en charge de cette maladie à l'époque ?

FS. Nous cheminions alors avec les infectiologues en décrivant avec des images les pathologies que l'on découvrait, comme le syndrome de Kaposi pulmonaire par exemple.

WUD. Par la suite, vous avez beaucoup vécu à l'étranger...

FS. Oui. Ma famille bougeait, et je la suivais : Écosse, Angleterre, États-Unis, Pays-Bas... Cela m'a donné une autre vision de ma profession. J'ai un peu travaillé à l'étranger, mais je rentrais aussi souvent pendant de longues périodes en France pour faire des remplacements, afin de ne pas perdre la main.

WUD. Et comment avez-vous commencé dans l'humanitaire ?

FS. À force de voyager, j'ai compris que de toute façon, je ne m'installerais jamais en radiologie. Et j'ai rencontré le Dr Claude Moncorgé, avec lequel j'ai travaillé et qui à l'époque était président de Médecins du Monde. C'est avec lui que j'ai commencé à m'intéresser au champ de l'humanitaire. J'ai passé un DU de santé publique, et en 2002 j'ai eu ma première mission pour Médecins du Monde. C'était en Birmanie, sur un projet de lutte contre le VIH chez les usagers de drogues.

WUD. Quels souvenirs gardez-vous de cette mission ?

FS. J'étais bouleversée. C’était un sujet que je connaissais bien sur le territoire français, et sur lequel beaucoup de choses avaient avancé entre 1984 et 2002. En Birmanie, il y avait un fossé considérable en termes d'accès au traitement, de prise en charge, d'accompagnement... Le tout avec un régime militaire très autoritaire... Mais tout cela ne faisait que souligner la pertinence d'intervenir sur ce terrain-là.

WUD. Et après cette première mission ?

FS. Je n'ai plus quitté Médecins du Monde (rires) ! J'ai exercé différentes missions, j'ai été membre du conseil d'administration, vice-présidente, et maintenant présidente. J'ai toujours été bénévole, y compris maintenant : le président de Médecins du Monde reçoit des indemnités, mais n'est pas salarié.

WUD. Et pendant toutes ces années de bénévolat, ce que vous gagniez en faisant des remplacements suffisait pour votre famille ?

FS. On dit toujours que les radiologues gagnent assez bien leur vie... dont acte ! Peut-être que nous sommes une spécialité privilégiée... En tout cas, cela m'a permis de faire beaucoup d'autres choses.

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WUD. Et la médecine, vous l'exercez toujours ?

FS. J'avais des remplacements en radiologie jusqu'à l'an dernier. Mais là, je n'ai plus le temps. La charge est lourde, nous sommes présents en France et dans 55 autres pays, il y a des sujets comme le droit humanitaire international qui demandent beaucoup de travail et qui m'étaient peu connus... Il arrive donc un moment où l'agenda est compliqué à concilier avec l'exercice médical. D'autant que selon moi, pour exercer correctement il faut y passer un certain temps. J'ai donc abandonné la radiologie, et je ne la reprendrai pas. Il faut être dédié complètement à ce qu'on fait, je n'ai pas l'habitude de faire les choses à moitié.

WUD. Un petit regret ?

FS. J'ai beaucoup aimé mes activités professionnelles. Le rapport humain avec le patient est unique, c'est un véritable lien de réciprocité. Mais j'ai l'impression que ce que je fais actuellement se trouve dans la continuité de ce que j'ai fait auparavant. C'est le même type de rapport de réciprocité que nous tentons d'avoir avec les personnes qui sont concernées par nos projets. Nous essayons de faire en sorte qu'elles soient actrices de leur propre santé, et que la décision ne soit pas l'apanage des seuls médecins.

WUD. Voilà qui nous amène sur le terrain de la politique, sur lequel Médecins du Monde semble de plus en plus présent. Est-ce votre influence ?

FS. Je n'aurai pas l'arrogance de dire que c'est moi qui ai impulsé cette dynamique. Je me suis inscrite dans la continuité de mes prédécesseurs, et cela me fait plaisir que vous ayez fait ce constat. L'acte de soin est un acte politique : il est essentiel, mais souvent il ne suffit pas. Nous soignons les gens tout en témoignant avec eux des situations dans lesquelles ils sont et en essayant de faire évoluer les législations. Quand on trouve que les lois ne sont pas bonnes, qu'elles ne permettent pas aux gens d'être en bonne santé, c'est notre rôle de pointer ces dysfonctionnements et d'essayer de faire changer les choses.

WUD. Est-ce ce raisonnement qui vous amène à donner fréquemment de la voix, par exemple sur la question des migrants ?

FS. Cela fait 30 ans que nous nous occupons des personnes qui migrent, ce sont donc des personnes que nous connaissons particulièrement bien. Or quand on parle des questions migratoires dans les médias, on ne parle que des choses qui fâchent : c'est une rhétorique de flux, d'inondation, d'exagération. Il s'agit pourtant simplement d'accueillir quelques milliers de personnes sur le territoire français, des personnes qui n'ont pas quitté leur pays par plaisir. Nous parlons donc des migrations de manière plus positive, plus apaisante. Et nous concentrons notre action sur des populations particulièrement vulnérables, comme les mineurs non accompagnés. Ils sont 25 000 actuellement sur le territoire français. C'est inimaginable de laisser des enfants à la rue comme cela en France !

WUD. Comment l'humanitaire évolue-t-il depuis que vous vous y êtes engagée ?

FS. Auparavant les ONG dites occidentales arrivaient sur les terrains de crise ou de conflit avec de la logistique, des ressources humaines, etc. Elles le font toujours. Mais les acteurs locaux sont en train de prendre une place radicalement plus importante. Nous faisons de moins en moins de choses directement, nous accompagnons. Cela signifie notamment de la formation, de l'aide à la recherche de financement... La Syrie est un bon exemple de cette évolution. Nous y sommes présents depuis très longtemps, mais nous intervenons maintenant essentiellement par l’intermédiaire d’ONG locales. Nous avons deux partenaires principaux, l'UOSSM (Union des organisations de secours et soins médicaux, NDLR) et Sams (Syrian American Medical Society, NDLR), et ce sont surtout eux qui agissent et prennent la parole. C'est un vrai tournant.

WUD. Que diriez-vous à un jeune médecin français qui aurait envie de faire de l'humanitaire ?

FS. C'est un engagement bouleversant. Mais il faut se rappeler que malgré la différence qu'il peut y avoir en termes d'exercice médical entre la France et des pays peu sécurisés, des pays où il y a des obstacles considérables à l'accès aux soins, la médecine est la même. Un médecin qui aime son travail en France et qui a envie d'aller chercher quelque chose en l'autre retrouvera un peu la même chose dans l'humanitaire.

WUD. Peut-on encore faire carrière dans l'humanitaire ?

FS. Il y en a qui y font toute leur vie professionnelle. Mais il faut savoir que nos médecins sont bénévoles en France, donc on n'en vit pas. Ceux qui travaillent sur les terrains internationaux peuvent en revanche faire carrière, souvent en travaillant pour plusieurs associations.

WUD. Et votre carrière humanitaire à vous, à l’issue de votre mandat de présidente ?

FS. Je vais rester encore deux ans au conseil d'administration, et j'aimerais me concentrer sur notre réseau international de 15 associations à l'étranger. Je continue !

BIO express

1982 : Interne à Paris
1985 : CES de radiologie, commence à travailler sur l'épidémie de VIH
2001 : DU de santé publique
2002 : Première mission pour Médecins du Monde en Birmanie
2015-2018 : Présidente de Médecins du Monde

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