Le tri des patients, un choix juste et efficace

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Confrontés à la pandémie du Covid-19, les hôpitaux et les médecins sont passés à la médecine de catastrophe. Dans ce genre de situations, nous rappelle l'un de nos lecteurs, le Dr Cédric Bourgeois, il apparait nécessaire d'opérer un tri des patients, pour réintroduire de la justice et de l'efficience dans les soins. 

Le tri des patients, un choix juste et efficace

En ces temps moralement difficiles, il paraît capital de faire un point sur les choix éthiques qu’auront à faire les médecins et les équipes soignantes. L’équation dans laquelle nous nous trouvons est complexe à résoudre : un nombre de patients élevé, pour des ressources qui vont être rapidement limitées.
C’est ni plus ni moins une médecine de « catastrophe ». Même si la préparation est quasi-militaire, même si l’expérience italienne nous donne un aperçu de ce qui nous attend, même si toutes les ressources sont mobilisées, nous serons (et c’est le cas dans certaines régions de France) très certainement dépassés par la situation.
La médecine « des catastrophes » pratiquée sur le sol français est liée à des accidents ou des actes terroristes, qui créent un besoin très important et brutal des demandes de prise en charge, mais le bilan est rapidement estimé (en quelques heures généralement), ce qui permet de déployer les moyens appropriés (SMUR, réanimation, pompiers, aide d’un autre CHU…) avec des équipes formées et compétentes, une des meilleures médecines du monde.

Ici, la situation est tout autre : c’est une médecine DE catastrophe

Premièrement, le nombre de malades va être très important, et augmenter jour après jour, en saturant le système médical, public ou privé, en s’installant dans la durée. Deuxièmement, la contagiosité du Covid-19 va représenter un obstacle majeur à la prise en charge, par sa capacité à contaminer les soignants mais surtout les patients non-atteints par le virus. En effet, les patients qui viennent à l’hôpital pour toutes sortes de pathologies (traumatiques, chroniques décompensées…) vont continuer à venir, et, de par leur état, seront encore plus sensibles au virus. Les soignants vont prendre des mesures limitant la fluidité des soins pour réduire la contamination, tout en gérant les pathologies habituelles qui n’auront pas l’amabilité de céder la place au coronavirus. Les équipes auront, il ne faut pas se le cacher, des choix à faire sur le tri des patients qui pourront être éligibles aux traitements de réanimation. Les médias diabolisent le « tri » comme une médecine de « choix », dans laquelle le médecin régulateur prendrait la décision de qui a le droit à une prise en charge ou pas.
Le tri a précisément été développé, en médecine de guerre comme en médecine d’urgence, pour remettre de la justice, de l’efficience et du sens, là où ne régnait que l’aléa du désastre, pour reprendre le contrôle du destin de la collectivité menacée d’écroulement. Comme vous le comprenez, l’objectif du choix est de ne pas laisser une distribution aléatoire du malheur mais, au contraire, d’opérer une action dans le but de sauver le plus de vies possible. Il est impossible de se laisser submerger par cette vague et d’abandonner toutes nos réflexions éthiques, tous les processus décisionnels pluridisciplinaires, toutes les bonnes pratiques cliniques.

La gestion des ressources

Nous passons d’une médecine individuelle à une médecine collective, qui oblige le soignant à prendre en considération, dans ses choix, la victime en face de lui mais aussi les besoins de tous les autres, présents ou à venir. Tout cela avec comme considération majeure : les ressources disponibles.
Le médecin coordonnateur du patient n’est pas le seul à décider. Il va prendre en compte les capacités d’accueil des autres services, des autres établissements de santé, publics ou privés, va s’entretenir avec le centre 15 pour savoir où ce patient pourrait être dirigé pour obtenir la prise en charge la plus adaptée à sa situation. De la même façon, il est illusoire de penser que la situation sanitaire sera stable dans un temps et une région donnés. Nous devrons nous réunir régulièrement pour réévaluer les indications de réanimation d’un patient, bien entendu, parce que son état de santé évoluera, mais également parce que les moyens disponibles vont évoluer au jour le jour.
En effet, la question de « l’obstination déraisonnable » (anciennement l’acharnement thérapeutique) se posera moins dans ce contexte, car aucune ressource ne pourra se permettre d’être gaspillée. Nous nous devrons d’utiliser les moyens (places en réanimation, personnels soignants, accès aux soins critiques) de façon juste et pertinente, hors du dogme qui a guidé nos enseignements, avec souvent une multitude de choix thérapeutiques possibles (amenant des situations avec des patients en réanimation depuis des années en attente d’amélioration).
Si l’état actuel engendre une suspension des normes éthiques ordinaires, celle-ci doit cependant rester très mesurée et proportionnée à la gravité de la situation, quelle que soit son évolution. Un juste équilibre doit être trouvé pour protéger les personnels soignants et faire comprendre au grand public qu’il ne peut pas attendre, en situation de catastrophe, les mêmes standards de soin qu’en temps normal.

Aucun soignant ni aucun patient abandonné

Il apparaît que la mesure de protection morale la plus efficace pour les soignants est la collégialité. Une éthique de groupe, discutée avec plusieurs visions, même dans des situations très complexes, est la seule solution pour répartir les charges et éviter de porter un fardeau qui semblerait trop lourd, surtout si ces dilemmes doivent se répéter dans cette crise sanitaire. La mise en place d’un soutien psychologique (comités d’éthique locaux, cellule de psychologues, instituts médico-légaux…) est effective dans tous les centres qui sont actuellement en lutte avec le virus. Évidemment, elle s’organise très rapidement, en parallèle des plans d’urgence, d’armement de lits de soins intensifs, dans les régions où le Covid-19 est attendu fortement. Les piliers de l’éthique médicale, bien connus des praticiens de soins palliatifs, que sont l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice, doivent continuer à nous guider.

Dr Cédric Bourgeois, président du comité d’éthique medicale de la Polyclinique St Roch, à Montpellier

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