Le poids du confinement sur la santé des femmes : comparaison entre la France et les États-Unis

Article Article

Face à l’avancée du Covid-19 au premier trimestre 2020, la décision, controversée, avait été prise dans de nombreux pays de mettre en place un confinement. En France, un premier confinement, complet, avait été décrété du 25 mars au 11 mai. Deux autres avaient suivi, sur des modalités un peu différentes et moins strictes, du 30 octobre au 15 décembre et du 3 avril au 3 mai 2021.

Le poids du confinement sur la santé des femmes : comparaison entre la France et les États-Unis

Si l’effet sanitaire, pour stopper le développement de l’épidémie, avait été concluant, d’autres conséquences se sont fait jour et ont demandé des études spécifiques. À l’occasion du colloque annuel du comité d’éthique de l’Inserm, en octobre 2021, le groupe de travail Genre et recherche en santé a ainsi publié une note comparant la gestion de la crise de la Covid-19 en France et aux États-Unis.

Cette comparaison met en lumière les dysfonctionnements des politiques publiques aux États-Unis qui peinent à garantir un système de santé égalitaire pour assurer les droits de femmes. Contrairement à la France, où les pouvoirs publics ont pris des mesures d’exception, notamment pour garantir l’accès à l’avortement et prendre en charge les victimes de violences.

Accès à l’avortement

En France, pendant le premier confinement, les statistiques des appels du numéro vert national « Sexualités, contraception, IVG » ont révélé que les signalements de difficultés liées à l’IVG ont augmenté de 320 % par rapport à la même période de 2019. En effet, les équipes médicales et services en charge des IVG ont pour beaucoup été réorientés vers la lutte contre le Covid-19. De plus, la limitation des déplacements a compliqué la possibilité d’obtenir une consultation médicale dans les délais légaux, avec pour conséquence des retards de diagnostic et des demandes d’avortement hors délai au moment du déconfinement.

Cette situation a conduit le ministre de la Santé à prendre des mesures d’exception (loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020) :

  • Extension du délai d’IVG médicamenteuse à domicile de 5 à 7 semaines de grossesse ;

  • Autorisation de prescrire une IVG médicamenteuse par télémédecine ;

  • Possibilité de pratiquer une interruption médicale de grossesse (IMG) au-delà du délai légal de l’IVG (12 semaines de grossesse) en cas de « détresse psychosociale » qui met en péril grave la santé de la femme.

Façade fermée pour cause de confinement de l’hôpital Tenon à Paris, XXe arrondissement
Les confinements ont rendu l’accès aux structures de soin, notamment pour les IVG, particulièrement compliqué. L’État français a pris des mesures d’exception en conséquence, comme l’extension du délai légal d’avortement (Hôpital Tenon, Paris XXᵉ arrondissement). Ronan Brodvac/VisualHunt, CC BY

Aux États-Unis, bien avant les bouleversements économiques du Covid-19, de nombreuses femmes ne pouvaient pas assumer les frais d’un avortement. Depuis 1980, l’amendement Hyde (renouvelé à chaque vote du nouveau budget fédéral) interdit à « Medicaid » – assurance santé pour les pauvres – de financer le recours à l’IVG. Or la majorité des patientes qui avortent vivent sous le seuil de pauvreté. Les femmes des communautés noires, latino-américaines et amérindiennes étant les plus touchées.

Depuis le début de la pandémie, les mouvements anti-avortement ont multiplié leurs revendications, arguant que l’avortement n’est pas un soin de santé essentiel et que son interdiction permettrait au personnel soignant de s’occuper exclusivement des cas de Covid-19. En 2020, douze États ont pris des mesures réglementaires pour entraver le recours à l’avortement :

  • Fermeture abrupte des cliniques ;

  • Limites à la télémédecine pour prescrire la pilule abortive ;

  • Obligation de la présence physique du médecin et exclusion des sages-femmes pour l’IVG médicamenteuse.

En septembre 2021, le Texas a interdit l’avortement au-delà de six semaines, même en cas de viol et d’inceste. De plus, des récompenses (jusqu’à 10 000$) sont offertes aux témoins qui dénoncent la femme et toute personne engagée dans un parcours d’avortement : médecin, conjoint, conducteur du véhicule jusqu’à la clinique, etc.

En réaction, les mouvements pro-avortement (Aid Access, Plan C, Self-Managed Abortion, Safe and Supported Project) et l’administration Biden se sont mobilisés pour dénoncer le caractère anticonstitutionnel des réglementations interdisant l’IVG. Jusqu’à présent, les recours portés aux tribunaux ont échoué et la loi texane est toujours en vigueur.

Intervention contre les violences conjugales

En France, lors du premier confinement (25 mars au 11 mai 2020), les interventions des forces de l’ordre à domicile pour violences conjugales ont augmenté de 42 % par rapport à 2019. Pendant le second confinement (30 octobre au 15 décembre), la plate-forme arretonslesviolences.gouv.fr a enregistré une hausse des signalements de 60 % – contre 40 % pendant le premier confinement.

Le contexte des confinements a compliqué la prise en charge des victimes. Les structures d’accompagnement et d’hébergement ont notamment vu leurs difficultés financières et de fonctionnement accentuées par les impératifs sanitaires.

Face à cette situation, plusieurs mesures ont été prises par les pouvoirs publics pour multiplier les possibilités de signalement de violences : en pharmacie, dans les centres commerciaux, sur Internet, via sms à travers l’extension de la disponibilité du 3919 (le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences). Des moyens supplémentaires ont été alloués pour les hébergements et l’aide aux associations de lutte contre les violences faites aux femmes.

Aux États-Unis, les violences domestiques déclarées à la police pendant le confinement ont augmenté de 8,1 % dans les grandes villes américaines. Les appels aux services de secours ont crû de 9,7 %. Ces chiffres sont inférieurs à ceux enregistrés en France, mais il ne faut pas en conclure que l’augmentation des violences a été moindre qu’en France. Dans la législation des États-Unis, les procédures juridiques d’investigation, de récolte et de communication des données se déclinent de cinquante façons différentes selon les états… Ce qui biaise les études statistiques au niveau national, qui n’ont pas la portée de celles d’un pays centralisé comme la France.

Des politiques de santé publique opposées face aux inégalités exacerbées

Si l’on tente de dresser un bilan comparatif des retombées sanitaires et sociales du Covid-19 en France et aux États-Unis, il apparaît que dans les deux pays, la crise a exacerbé les situations d’inégalité entre femmes et hommes, à rebours de la dynamique de progrès des dernières décennies.

Néanmoins en France, les retombées du Covid-19 ont eu aussi des versants positifs. La mobilisation de nombreux acteurs de la société civile (soignants, patients, chercheurs, associations, etc.) a conduit les pouvoirs publics à prendre des mesures d’exception pour garantir les droits des femmes, notamment dans l’aménagement de la loi sur l’avortement et dans les dispositifs de signalement des violences. On ne peut que souhaiter que ces mesures soient pérennisées au-delà de la période de crise.

La situation est plus critique aux États-Unis. Les écarts entre les politiques de santé publique prônées par le gouvernement fédéral (recommandations non contraignantes) et celles mises en œuvre de façon autonome par les états ont eu des conséquences délétères pour les femmes. L’interdiction de l’avortement au Texas en est le point d’orgue.

The Conversation

Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, Inserm et Jennifer Merchant, Professeure à l’Université Panthéon-Assas Paris II et membre du Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (CERSA), Université Paris 2 Panthéon-Assas


Déclaration d’intérêts

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les gros dossiers

+ De gros dossiers