Harcèlement, burnout, temps de travail : quelles actions concrètes pour protéger les internes ?

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Au mois de mai, Olivier Véran s’adressait aux internes et étudiants en santé, promettant des mesures pour les protéger. Un courrier prônant la tolérance zéro était sorti dans la foulée signé par le ministre de la Santé et son homologue du ministère de l’Enseignement supérieur. Comment ont été perçues ces annonces ? Regards croisés de Marina DUSEIN, Porte-Parole de l'ISNAR-IMG, Interne à Bordeaux, du Pr Nicolas Grenier, Président de la CME du CHU de Bordeaux et du Pr Patrick Baqué, Doyen de la Faculté de Médecine de Nice.

Harcèlement, burnout, temps de travail : quelles actions concrètes pour protéger les internes ?

Internes et étudiants en santé ne veulent plus souffrir dans l’ombre. Les grèves se multiplient, le mécontentement gronde, et les pouvoirs publics s’agitent. Des paroles oui, mais les actes vont-ils suivre ? « Je pense réellement qu’on arrive à avancer, on reste présent et impliqué, mais sans naïveté. Cette campagne de communication ou conférence de coup d’annonce était intéressante car ces annonces étaient destinées à un public plus large, cela a été repris médiatiquement, c’est plus compliqué de flouer ensuite », espère Marina Dusein environ un mois après la conférence déguisée en « échange » d’Olivier Véran à destination des internes et étudiants en santé.

Le ministère a notamment annoncé le lancement d’une enquête. « Une énième enquête, c’est forcément frustrant, on recommence par un état des lieux mais il s’agit cette fois de travaux ministériels, c’est un mode différent de fonctionnement, donc il y a besoin d’un état des lieux diligenté par le ministre. L’inscription de cette commission dans le PLFSS 2022, pour nous c’est un acte fort car cela donne un cadre légal », ajoute Marina Dusein.

Pourtant, l’impression générale est que le paquebot commence doucement un virage. « Dans le milieu médical, l’état d’esprit est particulier depuis toujours, il y a une hiérarchie très marquée, assez typique du milieu. On observait des abus de pouvoir, des comportements inappropriés que certains voyaient comme le folklore du milieu mais ce n’est plus acceptable. Cela doit changer, et la prise en compte des pouvoirs publics est une très bonne chose, pour que les gens se retiennent de ces comportements », estime Patrick Baqué.

De Nice à Bordeaux, le constat est partagé. « Il y a vraiment un problème qu’il ne faut pas négliger, nous devons être proactifs, nous mobiliser pour dénoncer certains abus, qui étaient tolérés avant, car cela faisait partie du jeu. Les nouvelles générations ne souhaitent pas vivre ce que nos générations ont vécu. Les choix de vie ne sont plus les mêmes, il y a plus de remontées de souffrance, d’un temps de travail trop important, des comportements de seniors qui fonctionnent comme il y a 20 ans. », ajoute, quant à lui, Nicolas Grenier.

« Il faut trouver un équilibre entre un travail intense pour le meilleur apprentissage possible et un équilibre mental et familial respecté, le chef de service doit être attentif à ça. Les gens travaillent beaucoup, pas sous la contrainte mais par conscience professionnelle. Il est important de veiller à ne pas mettre les mêmes personnes de garde tous les week-end, que chacun prenne sa part pour la permanence des soins. Ce n’est pas parce qu’on a été élevé comme ça culturellement qu’il faut le perpétuer », rappelle Patrick Baqué.

Les temps changent, les langues se délient. « On a un rôle essentiel à jouer en tant que syndicat, l’ISNI a par exemple fait un guide qui repère les structures existantes de veille et de recours pour les internes en difficulté, on l’a fait aussi. Il faut rétablir le dialogue. On fait souvent porter cette charge aux internes qui n’osent pas remonter, mais quand on parle aux chef.fe.s de services, les droits des internes sont mal connus, même si cela n’excuse pas tout, bien évidemment », rappelle Marina Dusein. « Un interne est censé être formé, épaulé, avoir ses droits et ses devoirs. Il faut refaire cette communication en appui sur le ministère et que tout ça soit en place pour la nouvelle promo qui arrive en novembre », poursuit la porte-parole de l’ISNAR-IMG.

Des solutions qui se dessinent

Mais face à ces situations intolérables qui remontent de plus en plus, comment s’organiser ? « Le problème est le signalement : comment signaler, à qui ? Les internes et étudiants craignent souvent les retombées négatives, des risques d’invalidation, d’une fin de parcours et de stage compliquée. On a mis en place une commission de conciliation depuis quelques années pour traiter des problèmes interpersonnels. On se demande s’il ne faut pas essayer de créer un guichet unique, pour les seniors en souffrance comme les internes, que des médecins indépendants soient formés, en connexion avec l’université, pour traiter ces situations, les suivre. Toutes les institutions n’ont pas encore de solutions. Un guichet unique est une possibilité mais c’est une lourde tâche de s’en occuper. Nous avons l’idée d’une application avec des signalements anonymes mais qui pourraient être traités et désanonymiser dans des cellules. Cela permettrait d’aider à signaler, de faciliter le premier pas », précise Nicolas Grenier.

Autre point soulevé dans le camp niçois, la réforme du 3ème cycle. « C’est un moyen de libérer la parole dans les commissions de DES, il y a une obligation des coordinateurs des DES de se réunir avec les représentants des internes pour faire le point. La réforme devrait permettre de mieux communiquer, avoir un représentant des internes, c’est offrir un espace de parole », explique Patrick Baqué.

« Les choses bougent et c’est très bien, ça bouge doucement mais ça bouge. Avec ces annonces ministérielles, les gens pris en défaut ont peur, ils savent que cela ne reste pas sans conséquences d’avoir un comportement inapproprié. J’ai eu deux cas grave de harcèlement dans mon établissement, j’ai alerté, écouté, proposé une suite judiciaire, que la personne victime a refusé. Mais si ça arrive de nouveau, je vais enclencher, il faut des exemples pour casser le cercle », assène le doyen.  

« Cela reste peut-être que des mots mais ça peut suffire à dire aux instances que ce n’est plus possible, le ministère a pris une position officielle, peut permettre de faire bouger les choses », ajoute Marina Dusein. Avant de conclure : « On sera satisfait quand les internes ne seront plus angoissés d’aller en stage mais on avance dans la bonne direction. »

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