Grossesse et carrière ne font pas bon ménage

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Autre risque lié à la grossesse : ravaler ses ambitions et voir des portes se fermer…

Grossesse et carrière ne font pas bon ménage

Pour Nathalie Lapeyre, sociologue – université de Toulouse, il existe un « télescopage des calendriers reproductif et productif pour les femmes médecins, un chevauchement des carrières et des grossesses en l’absence de facilitation de cette association ».

 

La grossesse tombe au moment des candidatures pour les postes de chef de clinique, d’assistant, de PHC, de PHU et autres carrières en U, des nominations de PH, ou encore à la période où il faut choisir de s’installer en libéral. Bref, à tous les instants les plus charnières de la vie d’une femme médecin. Pas toujours facile alors de se lancer et d’oser parler de ses projets de maternité…

 

Diane, psychiatre de 32 ans, bientôt mère de 2 enfants, relève qu’on ne lui a pas fait de « propositions de poste sur le lieu d'assistanat, en partie à cause de projets de grossesse alors connus de tous ». Elle a dû ensuite procéder à un « report de présentation du dossier de PH du fait d’une MAP avec 47 jours d’hospitalisation alitée… ». Elise, quant à elle, anesthésiste-réanimatrice de 32 ans et elle aussi bientôt mère de 2 enfants, explique qu’elle s’est contrainte à abandonner « toute velléité de carrière hospitalo-U car ce cursus est trop chronophage et nécessite des déplacements multiples. »

 

Parfois même, la maternité donnerait envie de tout plaquer, comme pourLætitia, radiologue, 33 ans, mère de2 enfants, qui au sortir de son assistanat,s’exclame : « Deux gosses que j'ai pasvus grandir du fait d'une exploitationhospitalière à 12 h/j pour 2000 €/mois :ces deux dernières années m'ont donnéplus qu'envie d'être mère au foyer !!! »La tension est vive chez certaines.

 

On comprend que la gestion de la maternité dans un métier exigeant, et ce, à des périodes de la vie professionnelle marquées par de faibles possibilités d’aménagement de travail, peut faire d’un événement pourtant si positif, un enfer.

 

Plusieurs facteurs sont probablement en jeu : la faible adaptabilité du système à de tels événements de vie, comme on l’a déjà dénoncé ; la difficulté en soi d’être un médecin à temps plein en même temps qu’une mère présente pour ses enfants ; enfin l’autocensure de femmes médecins qui renoncent à certaines opportunités par crainte anticipatoire, et peut-être par manque d’exemples !

 

À cela s’ajoutent d’autres disparités hommes/femmes que le seul frein direct de la grossesse sur la carrière d’une femme médecin. En effet, l’environnement familial de travail n’est pas favorable pour surmonter cette situation comme l’expose Loiselet¹ qui a rapporté, sur une étude portant sur des médecins généralistes, que 87,7 % des conjoints des femmes médecins travaillaient à temps plein, contre seulement 54,4 % des conjointes des hommes médecins. En d’autres termes, les partenaires masculins ne jouent pas jeu égal. Les femmes sont plus souvent que les hommes dans l’obligation d’adapter leurs horaires de travail à leur vie familiale, ce qui peut constituer un frein à leur carrière. Les femmes ont moins souvent de partenaire « au foyer », les conséquences sur l’épanouissement professionnel ne peuvent s’en ressentir que plus fortement. Dans le même esprit, une étude sociologique de G. Bloy² sur le devenir professionnel des jeunes généralistes insiste particulièrement sur un point : « la configuration dominante reste celle d’une hiérarchisation des carrières comme des revenus au sein des couples, au bénéfice de la carrière masculine et de la mobilité qu’elle impose le cas échéant. Le paradoxe est que la facilité avec laquelle ces jeunes femmes médecins généralistes trouvent à s’employer en tout point du territoire contrarie la prise en compte de leur activité sur un pied d’égalité au sein du couple. Cela aboutit à ce que ces femmes détiennent une sorte de monopole sur le marché dégradé du travail médical ».

Considérant ces résultats, difficile encore aujourd’hui de ne pas être celle à qui incombe en premier lieu la charge familiale, même lorsqu’elle est partagée…

Source:

¹ Loiselet-Doulcet B., La Féminisation de la médecine générale, étude du devenir de 6 promotions de PCEM2 de la faculté de Brest de 1990 `a 1995. Th`ese d’exercice, 27 octobre 2008.
² Bloy G., Comment peut-on devenir généraliste aujourd’hui ? Le renouvellement des médecins généralistes vu `a travers une cohorte de jeunes dipl^omés. Revue francaise des affaires sociales, 2011/2 n° 2-3, p. 9-28.

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