Face à la hausse des violences, la Maison des femmes du 9-3 s'agrandit

Article Article

Lieu d'accueil et de soins pour les femmes victimes de violence, la Maison des femmes de Saint-Denis (93) s'agrandit. Elle a posé le 8 mars la première pierre de son projet d'extension. L’occasion de revenir sur une success story.

Face à la hausse des violences, la Maison des femmes du 9-3 s'agrandit

« Je suis très heureuse que le projet d’extension de la Maison des femmes voie enfin le jour. Pour les femmes de plus en plus nombreuses qui frappent chaque jour à notre porte, et que nous pourrons accueillir dans des conditions respectant l’intimité, la confidentialité et la sécurité, mais aussi pour les équipes, permanentes et bénévoles, dont la qualité de vie au sein de notre maison sera améliorée. »
 
Fondatrice de la désormais célèbre Maison des femmes (MdF), le Dr Ghada Hatem-Gantzer, jubilait sans doute intérieurement le 8 mars dernier, lors de la pose la première pierre du projet d’extension de la structure (230 m2 d’espace supplémentaire). Que de chemin parcouru en effet depuis ce jour de juillet 2016, durant lequel cette gynécologue-obstétricienne a ouvert les portes de la structure pour accueillir les femmes vulnérables ou victimes de violence au sens large : IVG, excisions, agressions sexuelles, viols, incestes, violences conjugales…
 
Ce lieu unique en son genre permet à toutes les femmes en difficulté de se reconstruire physiquement, psychologiquement et socialement. Aujourd’hui, la MdF accueille 30 à 50 femmes par jour et assure près de 11 000 consultations par an. Rattachée au centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis, elle est organisée en trois unités : centre de planification familiale, prise en charge des mutilations sexuelles, prise en charge des violences conjugales, intrafamiliales et sexuelles.
 

Prise en charge complémentaire

 
Mais ses missions ne s’arrêtent pas là. La structure propose également des prises en charge complémentaires indispensables (médecin légiste, policiers, juristes, avocats), mais aussi des ateliers pour libérer la parole des femmes, améliorer leur estime d’elle-même et faciliter la réinsertion professionnelle : théâtre, karaté, photographie, création de bijoux…
 
« Ces activités permettent aux femmes de sortir de l'isolement, de se tourner vers des choses agréables et de se faire de nouvelles copines », explique le Dr Emmanuelle Piet, la présidente du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV), une association qui vient en aide aux femmes victimes de viol et d'agressions sexuelles.
 
Chaque lundi, ce médecin généraliste reçoit en consultation à la MdF des femmes qui ont des problématiques de contraception, d’avortement ou de viol. « La première conséquence des violences, c’est d’isoler les femmes, a constaté le Dr Piet. C’est en effet souvent l’une des stratégies de l’agresseur que l’on pourrait résumer en six points : choisir sa victime en fonction de ses goûts, l’isoler, inverser la culpabilité, terroriser, atténuer la souffrance de la victime (« voyons, ce n’est qu’une petite claque ») et lui interdire de parler. »
 
D’où l’importance pour ces femmes de libérer leur parole. Non seulement parce qu’on les empêche de s’exprimer, mais aussi parce qu’on les fait culpabiliser : « Le femmes victimes de violences pensent que c’est de leur faute, que leur vie est foutue, que ce qui leur arrive n’arrive à personne d’autre, rappelle le Dr Piet. Donc rencontrer d’autres victimes à la MdF leur permet de comprendre la stratégie de l’agresseur et de supprimer l’idée que c’est de leur faute. Elles rencontrent également des femmes qui s’en sont sorties, donc ça les requinque ! ».
 
Le tableau semble idyllique sur le papier. Mais la structure actuelle n’arrivait plus à remplir pleinement toutes ses missions, en raison notamment des appels à l’aide croissants des femmes victimes de violence et d'un parcours de soins de plus en plus complet. Le projet d’extension arrive donc à point nommé. Evalué à 900 000 euros, il a été financé par la région Île-de-France, l’Agence régionale de santé (ARS), mais aussi des fondations privées (Axa, Kering, RAJA, Elle…).
 
« Depuis deux ans, nous avions obtenu 160 000 euros de subvention exceptionnelle de la part du ministère pour le fonctionnement de la structure, le temps que le rapport IGAS puisse répondre à la question de notre utilité, précise le Dr Hatem-Gantzer. Ce budget est aujourd’hui pérennisé, et nous espérons bientôt renforcé ». Mais, ce qui est nouveau, c'est que « l’ARS a décidé de financer l’extension de la MdF à hauteur de 600 000 euros. C’est une dotation exceptionnelle et c’est une belle reconnaissance pour notre travail, car c’est l’État qui nous finance. »
 
Grâce à ces aides financières, la construction, qui devrait se terminer d’ici un an, offrira aux femmes victimes de violence des conditions d’accueil optimisées. Une bouffée d’oxygène pour l’équipe et les patientes car « nous n’arrivions plus à maintenir suffisamment de confidentialité et d’intimité nécessaire à la pratique, en raison de la hausse de l’activité », confie le Dr Hatem-Gantzer.
 

Plus en mesure de répondre aux violences sexuelles et aux mutilations

 
Pour se faire un ordre d’idée de cette hausse de l’activité, il faut savoir que le centre de planification familiale de la MdF n’était plus en mesure de répondre à la problématique plus spécifique des violences sexuelles et des mutilations. Depuis deux ans, il enregistre une augmentation du nombre de consultations de 50%, contre + 21% d’IVG. A cela s’ajoutent 20 à 30 passages impromptus par jour pour divers avis et conseils, un chiffre également en constante augmentation.
 
L’extension de la structure permettra aussi à de nouveaux projets de voir le jour. A court terme, des policiers volontaires seront formés aux problématiques de violences conjugales et sexuelles. Des policiers seront donc désormais présents sur la structure pour recueillir les plaintes, ce qui permettra aux femmes de venir porter plainte directement à la MdF, sans devoir passer par le commissariat.
 
Autre projet en ligne de mire à long terme cette fois-ci : mettre en place une astreinte pour les victimes de violences sexuelles, comme cela se fait déjà en Belgique. En clair, divers corps de métiers (médecins-légistes, infirmiers, policiers…) seraient présents en permanence à la MdF pour prendre en charge les victimes de violences sexuelles, à n’importe quel moment de la journée et de la nuit.
 
Tous ces projets devront s’accompagner d’une « réelle prise de conscience de la population générale et des politiques face à l’ampleur des violences faites aux femmes (conjugales, sexuelles et autres) », estime le Dr Laetitia Lasne, médecin légiste à la MdF depuis novembre 2017. Une prise de conscience qui passera évidemment par la libération de la parole des femmes. Mais, pour cela, elles devront avoir « assez confiance en la justice et la police pour pouvoir parler sans peur ».
 
Le Dr Lasne est également convaincue que les professionnels de santé doivent également libérer leur parole : « Ceux et celles qui rencontrent les femmes victimes de violences dans le cadre de leur travail doivent parler de ce qu’elles voient. Plus les professionnels de la santé communiqueront, plus les politiques comprendront qu’il s’agit d’un véritable enjeu de santé publique. »
 
Enfin, il est primordial que les professionnels soient formés à ce type de problématiques durant leurs études, plaide le Dr Lasne. « Il faut sensibiliser les professionnels au dépistage systématique des violences faites aux femmes, au même titre que les questions des antécédents médicaux et de la prise de traitement. »
 
Tout le monde serait en effet gagnant. Les victimes de violences, bien sûr, mais aussi la société dans son ensemble, conclut le Dr Lasne : « Il faut comprendre que les violences faites au femmes ont des répercussions sur la population générale, que cela soit d’un point de vue médical, financier, judiciaire ou policier. Une société qui tolère les violences faites aux femmes, ce n’est plus possible en 2019. »

Les gros dossiers

+ De gros dossiers