Dr Marie Gilbert : « Bilan vaccinal et psychologique, dépistages… Voici les nouvelles recommandations de prise en charge des personnes primo-arrivantes, parfois polypathologiques »

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Médecin infectiologue à l’hôpital Bichat-Claude Bernard, la Dr Marie Gilbert est aussi membre du MiPop, un groupe de travail sur la prise en charge médicale des personnes migrantes et des populations discriminées. On a parlé Aide médicale d'État, violences de genre et recommandations de santé des primo-arrivants, formulées à destination des médecins.

Dr Marie Gilbert : « Bilan vaccinal et psychologique, dépistages… Voici les nouvelles recommandations de prise en charge des personnes primo-arrivantes, parfois polypathologiques »

Dr Marie Gilbert, infectiologue et membre du MiPop ©DR

What’s up Doc : Vous faites partie du groupe MiPop, pouvez-vous nous le présenter ?

Marie Gilbert : Le groupe « Migrants et populations vulnérables » est un des groupes de travail de la société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) et de la Société française de lutte contre le sida (SFLS). Il a été créé en 2017 sous la forme d’un groupe « prévention » plus large, qui s’est ensuite autonomisé en 2022.

Le MiPop se positionne au croisement de différentes sociétés savantes, dans le but de promouvoir la santé des personnes migrantes et des populations vulnérables. Nous essayons d’apporter une prise en charge globale, quelle que soit la nature de la vulnérabilité, qui va prendre en compte, non seulement l’histoire et la santé du patient et ses particularités médico-psychologiques… Mais également tout ce qui peut avoir attrait à une approche plus holistique, comprenant le social, voire le juridique lorsque nécessaire. 

« Dans leur prise en charge, les personnes trans se heurtent à des violences de genre, évidentes ou masquées, sans qu'il y ait forcément une mauvaise volonté des soignants »

Qu’appelez-vous populations vulnérables ?

 MG. : Ce sont premièrement les personnes issues de l’immigration, et particulièrement les primo-arrivantes (celles qui se trouvent sur le territoire depuis moins de six mois). On y inclut aussi toute population qui peut être classée dans ce que l’on pourrait appeler les minorités visibles ou non visibles. Ce sont donc les populations racisées, celles à l’identité de genre trans et non-binaire, les travailleuses du sexe ou encore les populations carcérales. Sachant que certaines cumulent les « vulnérabilités » et peuvent être avoir des problématiques de santé qui leur sont d’autant plus propres.

Ces personnes peuvent subir des discriminations de la part de la société bien-sûr, mais aussi de la part du corps médical spécifiquement, qui ne les accompagne pas toujours correctement. C’est souvent le cas des personnes trans, qui se heurtent à des violences de genre, évidentes ou masquées, dans leur prise en charge, sans parfois qu’il y ait une mauvaise volonté des soignants.

 

Qui compose le MiPop ? 

MG. : Il compte vingt membres actifs qui forment le noyau dur, autour duquel gravite une centaine d’intéressés, via notre communauté WhatsApp. Ce groupe général est ouvert, sur invitation d’un membre, à tout professionnel quel que soit son métier, du moment qu’il se rapproche du soin. Ça va du médecin à l’assistant social, en passant par le kiné et le médiateur en santé.

 

Pourquoi avoir voulu exercer spécifiquement avec les populations migrantes et vulnérables ? 

MG. : À mon arrivée à Paris, je me suis intéressée à la thématique des populations précaires issues de l’immigration, car c’est une section de l’infectiologie importante : comment prendre en charge des populations étrangères qui pouvaient historiquement arriver avec des pathologies infectieuses ? Donc lorsque le groupe s’est formé, je l’ai intégré assez rapidement.

Parallèlement, je travaille avec un autre groupe thématique sur la prise en charge des personnes transgenres. La vie a fait que, via par des partenariats avec des associations locales, je me suis retrouvée à consulter beaucoup de travailleuses et travailleurs du sexe, notamment transexuel·le·s d’origine sud-américaine.

 

« Le bilan de santé des personnes primo-arrivantes doit être libre et indépendant de celui délivrée par l’office français de l’intégration et de l’immigration » 

 

Le MiPop a récemment formulé des recommandations de santé sur la prise en charge des personnes primo-arrivantes, à l’intention des professionnels de santé. Pouvez-vous les expliciter ? 

MG. : Ce sont des recommandations formulées conjointement par la SPILF, la SFLS et la SFP (pédiatrie). Le but c’est de réaliser un bilan complet et intersectionnel chez toute personne migrante primo-arrivante. Premièrement, une prise en charge médicale sur la base des antécédents, comprenant un rattrapage vaccinal, des dépistages (conformes aux recommandations nationales, mais également au vu des maladies d’importation), y compris des maladies cardio-vasculaires et sexuellement transmissibles. Ensuite, il y a un gros volet psychologique sur lequel nous avons beaucoup insisté. Car parmi les personnes migrantes, particulièrement primo-arrivantes, il y a une surreprésentation des maladies psychiatriques, notamment liées à la dépression et au psycho-trauma.

Les recommandations se destinent aux généralistes, aux médecins des centres de lutte anti-tuberculose (CLAT) et des centres de diagnostic et de dépistage des MST. Car gratuits et anonymes, ces centres, peuvent parfois constituer une porte d’entrée pour les patients. Les recos concernent aussi les praticiens, généralistes ou spécialistes associés, qui travaillent en PASS (Permanences d’accès aux soins de santé).

Maintenant que ces recommandations sont sorties, nous cherchons à implémenter ce bilan de santé au niveau national, avec les différents acteurs qui interviennent dans la prise en charge des personnes primo-arrivantes. Surtout, ce bilan de santé doit être libre et indépendant de celui délivré par l’office français de l’intégration et de l’immigration (Ofii).

 

Parmi les personnes primo-arrivantes, un certain nombre se retrouve aussi dans des conditions très précaires, pouvant aller jusqu’à vivre dans la rue, vous intervenez également à ce niveau-là ?

MG. : Il y a énormément d’acteurs du soin qui agissent indépendamment auprès des populations très précaires et sans papiers, via la Croix Rouge, le Samu social et d’autres organismes et associations spécialisés dans le social et le logement. Tous ces groupes sont en communication les uns avec les autres, et constituent une masse extrêmement liée. Cela permet de diriger les personnes vers des lieux d’accueil, où elles pourront trouver au même endroit un espace de repos, une assistance sociale, une association d’aide au logement, ainsi qu’un petit bureau médical. Ensuite, le patient pourra être réorienté vers des structures de deuxième ligne, où il lui sera réalisé ce fameux bilan de santé complet. 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/podcast-marie-gilbert-ne-fait-pas-de-la-medecine-sans-souvrir-lautre

Ces derniers temps, l’Aide médicale d’État (AME) continue de subir des menaces successives de modification, voire de suppression. On imagine que vous suivez de près les débats… 

MG. : Effectivement, le groupe MiPop s’est aussi solidifié autour de cette question. Au cours des dernières années, on a beaucoup milité et publié des tribunes en faveur de la conservation de l’AME en l’état, voire de son amélioration, notamment sur la base du dernier rapport Evin-Stefanini. On a d’ailleurs décidé créé un groupe avec les représentants de différentes sociétés savantes, pour discuter de ces questions-là : AME, mais aussi lutte contre les moyens de répression de l’immigration qui pourraient avoir des conséquences sur la santé des personnes.

Peu importe ce qu’il est décidé dans les prochaines législatures (maintien tel quel, création d’une aide médicale d’urgence ou diminution du panier de soins), nous n’allons pas bouger les lignes sur ce qu’on pense de ces menaces successives sur l’AME. Dans tous les cas, il nous semble inadapté d’envisager uniquement une aide médicale d’urgence, quand on sait qu’elle n’aura aucun intérêt, ni social, ni humain, ni économique. 

 

L’interview a été réalisée avant la chute du gouvernement Barnier. L’ancien Premier ministre avait, avant de se faire censurer, annoncé vouloir réduire « sensiblement » les soins pris en charge par l’AME, en réponse à une demande du Rassemblement national. Le 2 décembre, le Sénat a raboté de 200 millions d'euros le budget de l'AME, sur un total d'1,3 milliard prévu pour 2025.

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