
Dr Leïla Chaouchi © Photo Linkedin
What’s up Doc : Qu’est-ce que le Crafs et à quoi sert-il ?
Leila Chaouachi : Le centre de référence sur les agressions facilitées par les substances est un dispositif de téléconseil spécialisé, destiné à la fois à l’accompagnement du professionnel de santé et à l’orientation des victimes de soumission et de vulnérabilité chimique. Créé en octobre 2024 par le centre d’addictovigilance de Paris et composé d’une base de données de plus de 8 000 dossiers, il constitue un centre de ressources valides, sur la base de 20 ans d’expertise sur l'usage criminel des substances.
Il a pour but de rompre l’isolement des victimes en leur permettant d’avoir un point de chute immédiat. Car en matière criminelle, à partir du moment où la substance a été administrée, une véritable course contre la montre s’engage. D’autre part, c’est un outil de ressources pour les professionnels qui les accompagnent. Le procès des viols de Mazan a en effet généré un état de sidération auprès des professionnels de santé, qui ne se sentent pas suffisamment armés pour repérer et accompagner les victimes.
C'est important qu’ils sachent que, de la même façon qu’il existe le Crat pour les agents tératogènes, il existe le Crafs pour les agressions facilitées par les substances, avec qui ils peuvent prendre attache, quel que soit le type de violences (violences sexuelles, vols, séquestration…). De plus, cela nous permet également de mieux recenser les cas, puisque toutes les données recueillies sont injectées dans l'enquête nationale sur la soumission chimique.
« Il n'existe pas de signe spécifique de la soumission chimique, c'est l'association de différents indicateurs qui rend possible le diagnostic »
Que peuvent-faire les médecins qui soupçonneraient un cas de soumission chimique ?
LC. : Avant de parler de repérage, il est important de parler de l’accueil de la parole. Car lorsque l’on parle de repérage en permanence, on donne l’impression que toutes les victimes s’ignorent. Rien n’est plus faux.
Une victime sur deux a conscience de l’agression qu’elle a subie et de l’altération de son état. L’autre moitié peut avoir une amnésie totale (le fameux « trou noir ») ou partielle (avec des « flashs qui reviennent »). Mais dans la majorité des cas, elles présentent des signes indicateurs d'une agression. Le cas typique c'est : « je me suis réveillée nue dans la rue, sans souvenirs », ce qui laisse peu de place au doute concernant des violences sexuelles. Dans un autre cadre, ça peut être aussi : « je me revois avoir des vertiges et le lendemain, je constate des transactions inhabituelles sur mon compte bancaire ».
Les victimes de soumission ou de vulnérabilité chimique (prise de substance volontaire, qui altère l’état de vigilance ou de conscience et qui peut rendre plus vulnérable à une agression), présentent également des symptômes particuliers. Il s’agit souvent de troubles de la mémoire et de la vigilance, de troubles somatiques divers, de vertiges, nausées, vomissements et somnolences. Pour autant, il n'existe pas de signe spécifique de la soumission chimique, c'est l'association de ces différents indicateurs qui rend possible le diagnostic. En réalité, seule l'analyse toxicologique permettra de confirmer un cas de soumission ou de vulnérabilité chimique.
Lorsque ce cas se présente, il est important pour les médecins d’acquérir les réflexes suivants :
- Est-ce que j'encourage la judiciarisation, notamment pour que la victime bénéficie d’analyses toxicologiques gratuites ?
- Si elle refuse de déposer plainte (ce sera souvent le cas), est-ce que je m’assure qu’il y a un suivi du stress post-traumatique ?
- Est-ce que je remets un certificat médical initial ?
- Est-ce que je sais identifier les structures qui peuvent venir en aide à la victime ?
- Qu’est-ce que je fais pour empêcher son isolement ?
- La victime a peut-être été violée : est-ce que j'ai mis en place une orientation vers une évaluation infectieuse, est-ce que j’ai évalué le risque de grossesse non désirée ?
« Il faut déconstruire l'idée que la soumission chimique concernerait forcément une jeune fille dans un cadre festif »
Et pour celles qui s’ignorent justement ?
LC. : Cela passe en premier lieu par déconstruire toutes les idées reçues qui laissent penser que la soumission chimique c’est forcément une jeune fille dans un cadre festif à travers l’alcool et le GHB. Ça peut arriver à tous les âges, tous les milieux, y compris dans la sphère intrafamiliale et professionnelle. Surtout, il peut y avoir des cas de maltraitance chimique, sans agression commise derrière. Ça arrive souvent sur les enfants, que l’on appelle « battus chimiquement », et les personnes âgées. Les victimes qui s’ignorent présentent les mêmes symptômes que les autres.
C’est à ce moment qu’intervient le diagnostic différentiel du médecin, sur la base de la déconstruction des idées reçues préalablement évoquée. Une fois que les autres pistes sont écartées, le procédé est le même. Il faut encourager la judiciarisation puisqu’aujourd’hui, l'accès aux analyses toxicologiques valides du point de vue médico-légal est conditionné au dépôt de plainte. En dehors, c’est au frais de la victime, et les tarifs peuvent atteindre 1 000€.
C’est pour cela qu’au centre d’addictovigilance, on a le réflexe de toujours repositionner l'agression au centre, et de rappeler les facteurs aggravants de la loi lorsque l’agression est commise sous l’influence de substances (pour l’agresseur comme pour la victime).
Y-a-t-il également la possibilité de mettre en place des mesures de prévention concrètes, comme par exemple la réception d’une seule personne à la fois lors de la consultation, pour encourager la libération de la parole ?
LC. : Je ne pense pas qu’il faille appliquer de modèle absolu. C’est assez variable, selon les personnes. L’important c'est de se faire confiance, d'être à l'écoute et de s'adapter. Bien sûr, il y a une prudence vis-à-vis des violences intrafamiliales, le but n'est pas de mettre le bourreau à cote de la victime, mais la manière de consulter dépend de chaque patricien.
Dans le cas d’une suspicion d’agression facilitée par les substances, les seuls automatismes à retenir sont les suivants :
- Remise d’un certificat médical initial qui retrace l'historique de ce qui a été décrit (le modèle est disponible ici).
- Encourager, sans la forcer, la judiciarisation. Lorsqu’il s’agit d’enfants ou de personnes qui ne sont pas en capacité de le faire, faire un signalement auprès du procureur, qui permet de lever le secret médical
- Faire preuve de prophylaxie sur le risque de contamination infectieuse et de grossesse non désirée
Pour le reste, je recommanderais de simplement faire confiance à sa capacité à évaluer une situation et à adopter une posture d'écoute, de non-jugement… Ce que les médecins savent très bien faire.
Le numéro national du centre de référence sur les agressions facilitées (Crafs) est le 01 40 05 42 70.
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