Dans les cabinets médicaux, les violences augmentent

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En 2018, les violences (pour la plupart verbales) envers les médecins ont augmenté de 9 % par rapport à l'année précédente. The Conversation nous expose cette tendance glaçante qui survient dans nos cabinets médicaux.

Dans les cabinets médicaux, les violences augmentent

Les actes de violence envers les professionnels de santé sont en augmentation, selon les chiffres recueillis chaque année par l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS). Depuis 2005, cette instance gouvernementale répertorie les signalements de faits de violence à l’encontre des personnels soignants reportés par les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux, publics comme ou privés.

En avril, le Conseil national de l’Ordre des médecins relayait des résultats pour 2018 d’un autre observatoire, l’Observatoire de la sécurité des médecins. Eux aussi indiquaient une augmentation du nombre d’actes de violence. Un nouvel appel aux pouvoirs publics était lancé, afin de mieux prendre en charge ce phénomène sociétal inquiétant.

Comment en est-on arrivé là ? Comment des personnes dont la vocation est d’apporter aide et soins se retrouvent-elles cibles d’incivilités et de violences ?

1 126 actes de violence déclarés en 2018

Déjà en 2017, avec 1 035 « incidents violents recensés », le seuil symbolique des 1 000 incidents avait été franchi. En 2018, la progression s’est, hélas, encore accentuée, atteignant les 1 126 incidents déclarés, soit une hausse de 9 % en une seule année. Si l’on examine de plus près ces « incidents violents recensés », on découvre des situations extrêmement diverses.

Majoritairement, il s’agit d’agressions verbales ou de menaces (66 % des cas signalés). Les motifs engendrant ces violences paraissent généralement disproportionnés : reproche relatif à la prise en charge (31 % des cas), refus de signer un arrêt de travail, refus de prescription (16 %) voire un temps d’attente trop élevé dans la salle d’attente du cabinet (11 %) !

Le quart des « incidents » restant concerne des délits : vols (ou tentatives de vol) tout d’abord, dans 18 % des cas (majoritairement des tampons professionnels ou des ordonnanciers), puis le vandalisme dans 8 % des cas ou, beaucoup plus grave et inquiétant, les agressions physiques, dans 7 % des cas, dont 3 % avec arme.

Cette hausse des violences s’exerce tout particulièrement envers les médecins généralistes. En effet, près de 70 % des plaintes ont été déposées par les représentants de ce corps de métier (contre 61 % en 2017), alors qu’ils ne constituent que 44 % de la population médicale globale.

Il ne faut pas croire, toutefois, que la violence ne s’exerce qu’envers les médecins. Tout le personnel qui gravite autour du corps médical – personnel soignant ou administratif – est aussi touché.

Cette montée de violence peut s’analyser comme un rapport de force nouveau. Celui-ci ne s’établit pas entre deux individus, le patient et le médecin, mais plutôt entre le patient et ce que représente – directement ou indirectement, le médecin. En outre, ce dernier appartient à un corps de métier qui ne bénéficie plus de la protection inhérente à la distance respectueuse qu’il inspirait jadis.

Chiffres déclarés, chiffres réels

Ces chiffres sont très certainement largement sous-estimés. En effet, identifier une situation de violence n’est pas forcement la déclarer. Globalement, les médecins portent peu plainte : en 2018, seuls le tiers des actes identifiés par les professionnels de santé a été suivi d’un dépôt de plainte, et 54 % des actes identifiés n’ont été suivis ni d’un dépôt de plainte, ni même d’une main courante.

En ce qui concerne plus spécifiquement les médecins, ces derniers semblent avoir mis en place une sorte « d’auto-régulation », par hiérarchisation de la gravité des faits. En effet, près d’un quart (23 %) des médecins victimes d’agressions physiques n’ont déposé ni plainte ni main courante. Cette proportion atteint 34 % chez les médecins victimes de vandalisme, voire 69 % chez les médecins victimes d’agressions verbales.

Par ailleurs, la limite des « incidents violents » n’est pas forcément évidente à définir au quotidien, en particulier dans la catégorie « majoritaire » des agressions verbales, ce qui est une autre source de sous-évaluation.

Que traduit cette recrudescence d’incivilité et de violences ?

Les racines de cette violence sont probablement à chercher dans la lente mais sûre dégradation de la relation patient-soignant. Les liens qui existaient jadis avec le « médecin de famille » se sont progressivement délités.

De nos jours, entre déserts médicaux, temps partiels de nombreux jeunes médecins et les exigences accrues d’une population dont l’enpowerment (le « pouvoir d’agir » des individus) grandit grâce à la consultation de sites médicaux plus ou moins ciblés, les rapports ne sauraient être les mêmes qu’autrefois.

Et les médecins en souffrent. Beaucoup. Certains finissent même en burn-out, tant leur relation avec leurs patients est devenue d’une « inquiétante étrangeté », pour paraphraser Sigmund Freud

Revoir le modèle traditionnel

Si les faits sont minimisés, si les actes identifiés ne sont pas suivis de conséquences judiciaires – car les médecins ne portent pas plainte, même si le Conseil de l’Ordre se propose systématiquement pour être « partie civile » à leurs côtés – et si, enfin, de nouveaux moyens de protection individuelle ne sont pas mis en place, alors quelles solutions envisager ?

Des démarches ont été entreprises depuis plusieurs années. En effet, en 2011, l’État – représenté par les ministres de l’intérieur, de la justice et de la santé – avait signé avec les représentants des professions de santé un protocole destiné à garantir leur sécurité. Celui-ci ambitionnait notamment de :

  • proposer la réalisation de diagnostics de sécurité par les spécialistes de la police ou de la gendarmerie ;

  • mettre en place de procédures d’alerte spécifiques (numéro dédié, boîtiers d’alerte permettant la géo-localisation…) ;

  • inciter les élus locaux à développer leur système de vidéo-protection.

Malheureusement, en raison d’une application parcellaire ou d’une portée insuffisante, cela n’a pas suffi, comme l’évolution des chiffres tend à la prouver…

Autre explication : les évolutions de la société nous ont peut-être menés jusqu’aux limites de la solution « micro ». Au lieu de poser des « pansements » individuellement, il pourrait être temps de passer à une solution plus « macro ».

Changer la logique individuelle pour une logique collective, c’est effectivement le choix que semble désormais revendiquer les autorités. Fin 2018, lors de la présentation de sa stratégie de transformation du système de santé, Emmanuel Macron avait déclaré :

« Je veux que l’exercice isolé devienne progressivement marginal, qu’il devienne l’aberration et qu’il puisse disparaître à l’horizon de janvier 2022. »

En imposant des regroupements au sein de la ville, puis en se basant sur une coopération plus rationalisée, plus structurée, en un mot, plus systémique, entre la ville et l’hôpital, les autorités espèrent améliorer la prise en charge de la population et rendre le système de santé plus clair pour les patients.

Un bénéfice collatéral de cette nouvelle organisation pourrait être l’apaisement des tensions entre patients et soignants. En proposant des mesures plus qu’incitatives au regroupement, le gouvernement tient peut-être une solution aux violences individuelles. L’avenir dira si cette piste était la bonne.

The Conversation

Cécile Dutriaux, Doctorante, chaire EPPP, IAE Paris – Sorbonne Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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